Le poids du monde, de David Joy
Il y a deux ans de cela, en découvrant Là où les lumières se perdent, on se disait que David Joy était un jeune écrivain très prometteur. Il le confirme avec ce second roman.
Thad et Aiden, amis d’enfance, vivent sur la propriété d’April, la mère de Thad, au flanc d’une colline dans le comté de Jackson, en Caroline du Nord. « Il y avait deux types de vie, et Aiden et lui étaient nés dans celui où les tests d’aptitude au service militaire avaient plus de sens que les tests d’admission à l’université ».
Thad est parti combattre en Afghanistan et en est revenu poursuivi par de sales souvenirs. Aiden n’a pas eu besoin de partir pour cela. Il a assisté au meurtre de sa mère par son père et au suicide de ce dernier alors qu’il était encore à l’école primaire. Les deux garçons se sont toujours serrés les coudes et Thad a tout fait, jusqu’à convaincre sa mère, pour qu’Aiden, après la mort de ses parents, puisse rester dans la petite communauté de cette partie du comté que l’on appelle Little Canada.
Ancrés sur cette terre qui n’a pourtant rien à leur offrir, les deux jeunes hommes vivent d’expédients et font passer le temps en fumant de la méthamphétamine. C’est la mort accidentelle de leur dealer, qui laisse derrière lui un petit stock de drogue et quelques milliers de dollars, qui va précipiter les choses : faire entrapercevoir à Aiden une issue, la possibilité de se refaire ailleurs, pousser Thad à s’engager plus avant sur la mauvaise pente, faute de pouvoir même envisager la possibilité d’une autre vie que la sienne. Entre les deux, April, après s’être oubliée des années durant, est bien décidée à s’extraire enfin de l’existence morne dans laquelle elle ne supporte plus d’être enfermée.
Les amateurs d’action, de grandes scènes de poursuite ou de fusillades passeront. Le propos de David Joy n’est pas de proposer une intrigue de polar débridée mais bien de coller au plus près des états d’âmes de ses personnages et de les suivre dans ce qui pourrait bien être des impasses. Écrasés par le poids du monde qui donne son titre au roman et qui, de la lourdeur d’un ciel d’été chargé de nuages noirs à la manière dont, plus on avance, plus les bâtiments semble prêts à s’effondrer en même temps que les personnages ou sur eux, devient de plus en plus prégnant, Thad, Aiden et April tentent de lever la tête, de se redresser. Mais ce que l’on charrie est parfois bien trop lourd.
Si David Joy choisit de montrer l’Amérique des perdants, des petits blancs écrasés par un système qui leur est finalement aussi étranger que ces pays où on les envoie se battre, retournant leur haine ou à tout le moins leur dépit vers plus pauvres qu’eux, il n’en fait pas pour autant de simples victimes. C’est là tout l’intérêt de ce roman. Il y a certes un indéniable déterminisme social, mais il y a aussi des choix personnels qui peuvent tenir autant à la peur de l’inconnu qui empêche de tenter de fuir qu’à la fuite en avant ou, au contraire, aussi douloureux que cela puisse être, à la décision de couper définitivement et brutalement avec ce monde. Sans pathos inutile, sans démonstrations lénifiantes, Joy parle des gens, tout simplement, comme ils sont et non pas comme ils rêveraient d’être ou comme on voudrait qu’ils soient. Ce faisant, tout au long de roman noir et émouvant, il offre de beaux moments de grâce littéraire.
David Joy, Le poids du monde (The Weight of This World, 2017), Sonatine, 2018. Traduit par Fabrice Pointeau. 311 p.
Du même auteur sur ce blog : Là où les lumières se perdent ; Ce lien entre nous ; Nos vies en flammes ; Les deux visages du monde ;