Moronga, d'Horacio Castellanos Moya

Publié le par Yan

José Zeledón, citoyen salvadorien réfugié aux États-Unis, arrive à Merlow-City, morne ville étudiante du Wisconsin, où son ami Rudy, devenu Esteban, lui a dégotté un emploi de chauffeur de bus scolaire. C’est qu’Esteban et José ont une longue histoire commune. Anciens guerilleros marxistes ils ont fui leur pays toujours ravagé par la violence pour, ironie de l’histoire, refaire leur vie dans celui qui a soutenu la junte militaire qu’ils combattaient. Si Esteban, marié, père de famille, semble avoir définitivement tiré une croix sur son passé, tout est bien plus difficile pour José, toujours en lien avec d’anciens camarades, et surtout toujours habité par ses vieux réflexes de combattant clandestin. D’autant plus difficile qu’il touche du doigt à Merlow City l’obsession de son pays d’accueil pour la surveillance de ses citoyens.

Cette obsession, Erasmo Aragón la connaît bien. Enseignant à l’université de Merlow City, ce Salvadorien lui aussi réfugié fait des recherches sur la manière dont la CIA a organisé l’assassinat du poète Roque Dalton. S’il craint toujours d’éveiller les soupçons des services de l’État, d’autant plus qu’il doit consulter à Washington des documents déclassifiés, il est encore plus obnubilé par la façon dont l’Université surveille enseignants et étudiants. Et il faut bien dire que sa propension à draguer tout ce qui bouge, à rechercher constamment de nouvelles partenaires sexuelles, a de quoi l’inciter à la méfiance.

Ces deux hommes, que l’on a par ailleurs déjà pu croiser dans de précédents romans d’Horacio Castellanos Moya, vont bien entendu être amenés à se croiser. À tout le moins, on peut le dire sans trop en dévoiler, que ce sont des connaissances communes qui, par les hasards du destin, vont en quelque sorte amener les trajectoires de leurs vies respectives à se rapprocher l’une de l’autre.

À travers leurs deux histoires, Horacio Castellanos Moya, avec un humour mordant, une pointe de cynisme et un regard cru sur le pays où il vit lui aussi dorénavant – il enseigne dans l’Iowa – livre sa propre vision des États-Unis et de la manière dont y vivent les réfugiés politiques ou économiques venus d’Amérique latine. José Zeledón comme Erasmo Aragón trouvent aux États-Unis non seulement la surveillance constante des citoyens et la violence qu’ils ont fui et que, en sus, certains de leurs concitoyens ont importé en venant, mais aussi un puritanisme au moins de façade qui les déstabilise.

Car on surveille moins ici pour permettre de prévenir la violence ou les crimes que pour s’assurer que les gens n’ont pas un comportement déplacé. Si José peut à loisir aller utiliser des fusils mitrailleurs dans un stand de tir sans que cela pose problème, il vit dans la crainte d’une dénonciation à son patron de la part d’une institutrice à laquelle il aurait involontairement lancé un regard équivoque. Quant à Erasmo, presque entièrement concentré sur les moyens de dissimuler son penchant pour les sites pornographiques et sa manière de draguer les femmes qu’il croise, il en oublierait presque qu’il manipule un dossier sensible.

Tout cela donne en fin de compte un roman dont l’humour assassin, la manière dont Castellanos Moya dépeint le morne quotidien de ses personnages, leurs angoisses et leurs obsessions, révèlent un beau livre noir. Réflexion sur l’exil et la difficulté à comprendre une civilisation aux règles totalement différentes, la tentation de l’entre-soi quand toute relation avec quelqu’un en dehors de ce cercle risque de porter une dangereuses incompréhension, mais aussi poursuite du questionnement de Castellanos Moya sur la violence de la guerre et ses conséquences, Moronga est un roman d’une rare intelligence.

Horacio Castellanos Moya, Moronga (Moronga, 2018), Métailié, 2018. Traduit par René Solis. 347 p.

Du même auteur sur ce blog : La servante et le catcheur ;

Publié dans Noir latino-américain

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