Si je meurs au combat, de Tim O’Brien

Publié le par Yan

« Mettez-moi dans une boîte et renvoyez-moi à la maison ». C’est là le sous-titre de ce poignant recueil de nouvelles autobiographiques de Tim O’Brien. Originaire d’une petite ville du Midwest autoproclamée « capitale mondiale de la dinde » et qui compte de fait plus de dindes que d’habitants, O’Brien, alors étudiant, est appelé sous les drapeaux durant l’été 1968. Il fera son temps au Vietnam, après ses classes, en 1969 et 1970 et en reviendra avec une partie des nouvelles de ce recueil.

Les amateurs de combats héroïques en seront pour leurs frais, tout comme d’ailleurs les zélateurs d’un discours totalement opposé.

Tim O’Brien est un pur produit de l’Amérique des années du baby-boom. Philosophiquement opposé à la guerre du Vietnam, il est aussi un enfant qui a grandi dans le culte des vétérans de la Seconde Guerre mondiale et même de celle de Corée. Cela signifie quelque chose dans cette Amérique et certainement plus encore dans la petite ville d’Austin, Minnesota, où tout le monde se connaît et où le patriotisme est une valeur cardinale. Certes, Tim O’Brien, étudiant féru de philosophie peut trouver la guerre menée par son pays au Vietnam mauvaise, mais Tim O’Brien, fils de la famille O’Brien, d’Austin, capitale mondiale de la dinde, ne peut que difficilement refuser d’y aller et, ce faisant, faire honte à sa famille et à sa communauté : « Comme des aimants, tous ces trucs tiraient d’un côté ou de l’autre, presque comme des forces physiques qui ajoutaient de la lourdeur au problème initial, de sorte que, au bout du compte, c’était moins la raison que la gravité qui prenait vraiment le dessus. »

C’est d’abord tout cela que raconte Tim O’Brien : les doutes, la peur, la pression sociale, et un projet de désertion avorté. Puis les classes, et enfin le Vietnam, les mines antipersonnel à travers un inventaire à l’ironie morbide, les embuscades – les vraies et les fausses que l’on monte ou pas pour satisfaire un officier dans son bureau –, les combats parfois, courts et meurtriers et pas seulement à cause de l’ennemi, la ségrégation de fait dans l’armée américaine, la peur, le courage, la peur de manquer de courage, la méfiance qui peut virer à la haine entre américains et population vietnamienne…

Tim O’Brien n’a aucune envie d’être là mais il y est pourtant et, porté par ses convictions, en particulier celle qu’il n’a rien à faire dans ce pays, pas plus que ces camarades, mais aussi celle qu’il n’a vraiment pas envie d’y mourir, il décrit avec précision ses états d’âmes comme les événements auxquels il assiste. Il y a là l’ennui de la guerre, la façon dont tous les honneurs ne peuvent effacer l’image d’un corps déchiqueté ou l’humiliation d’un vieil homme. Avec une écriture sans fard mais évocatrice, il dit ce qu’il voit et ce qu’il pense. C’est la guerre vue à hauteur d’homme et c’est moche.  

« J’observais le sergent-chef. Il a fait marche arrière, s’est accroupi, et de la poussière et un nuage de fumée rouge sont montés dans les airs, tout autour de ses cuisses. Il s’est redressé et il est resté bouche bée en voyant la brève explosion. Il n’a rien dit. Comme s’il essayait de se protéger des éclats d’obus et de tout ce raffut, il a fait trois pas en arrière. Là, ses jambes se sont désagrégées sous son poids et il est tombé sur le dos comme une masse.

Ça a explosé juste sous ses pattes. Personne ne s’est senti vraiment triste quand l’hélico a atterri et qu’on l’a foutu à bord. »

Profitons-en au passage pour saluer le superbe travail de feues les éditions 13ème Note qui ont su, quelques années durant, dénicher de magnifiques textes et leur offrir un bien bel écrin. Au fond, c’est un peu tout le livre de Tim O’Brien qui est résumé dans la photo de couverture de Don McCullin représentant ce soldat hagard et qui pose plus de questions qu’elle n’offre de réponses.

Tim O’Brien, Si je meurs au combat (If I Die in a Combat Zone : Box Me Up and Ship Me Home, 1975), 13ème Note éditions, 2011. Traduit par Alexandre Thiltgès. 255 p.

Publié dans Noir américain

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