Rédemption, de Vanessa Ronan
Premier roman de Vanessa Ronan, Rédemption aborde avec finesse, sensibilité et sans manichéisme la question de la réinsertion, du pardon et de la vengeance. Si le thème est rebattu et que le roman de Ronan ne se révèle pas, sur le fond, véritablement original, la maîtrise dont fait preuve la jeune auteure, la façon dont elle évite toute facilité et la beauté de son écriture après une ouverture sans doute un peu trop lyrique en font un livre tout ce qu’il y a de poignant et de dérangeant à la fois.
Libéré de la prison de Huntsville dans laquelle il a purgé une peine de dix ans, Jasper Curtis rejoint la petite ville texane dans laquelle il a grandi. C’est là que vivent sa sœur, Lizzie, et ses deux nièces, Katie, lycéenne, et Joanne, douze ans, dans la maison héritée des parents de Jasper.
Ce que l’on apprend très vite, c’est que Jasper n’est pas le bienvenu dans le coin. Si Vanessa Ronan ne nous dévoile rien de précis, l’on sait néanmoins que Jasper a été emprisonné pour avoir agressé (violé ? tué ? nous ne le saurons que bien plus tard) une ou plusieurs jeunes femmes de la ville et que nombreux sont ceux, dans la communauté, qui estime que la peine qu’il a purgée a été bien trop clémente. On sait aussi que Jasper, s’il dit vouloir retrouver le droit chemin, vivre sa nouvelle vie d’homme libre sans chercher d’ennuis, ne regrette toutefois rien de ce qu’il a fait et même estime qu’il devait le faire. De là nait une ambigüité qui pèse sur la famille recomposée qu’il forme avec sa sœur et ces nièces. D’abord parce que Lizzie, qui a toujours aimé son frère, peine à lui pardonné ses actes et semble partagée entre son amour fraternel et sa méfiance vis-à-vis d’un Jasper qui se révèle volontiers inquiétant. Ensuite parce que cet homme isolé pendant dix ans pour avoir agressé violemment une femme se retrouve à présent isolé dans une ferme éloignée du centre de la ville avec une adolescente de toute beauté qui n’a pour lui que peur et mépris et une petite fille à la lisière de l’adolescence dont il ne sait s’il doit la voir comme une enfant ou une femme. De cette relation ambivalente sourd une première tension qui va peser sur l’ensemble du roman.
Et puis il y a bien entendu le reste de la petite ville. La famille de la victime de Jasper, mais aussi les autres et leur refus de voir l’auteur d’un crime odieux réintégrer la communauté qu’il a souillée et qu’il souille de nouveau par sa seule présence. Et derrière cela la manière dont la tentation d’exécuter la punition que la justice – nécessairement laxiste – n’a pas su, aux yeux des bons citoyens, mettre en œuvre. D’autant plus que face à eux, Jasper, qui n’a jamais connu d’autre horizon que ce coin perdu du Texas, n’a jamais envisagé sa vie ailleurs, et estime avoir payé son crime au prix fort, entend bien vivre là et réintégrer cette communauté qui ne veut plus de lui. De là vient se superposer une deuxième tension, une lourde menace qui pèse sur l’équilibre fragile que Lizzie essaie d’instaurer entre elles, ses filles et son frère.
Il y a des salauds dans Rédemption, à commencer par Jasper, et des hypocrites. Il y a des personnes bien intentionnées qui font les mauvais choix, parfois sans penser réellement à mal, d’autres fois en sachant qu’elles vont faire le mal tout en se voilant la face. Il n’y en tout cas, en dehors de la petite Joanne, incarnation de l’innocence, guère de personnages monolithiques. Chacun porte sa croix et essaie de s’en tirer avec sa propre conception du bien et du mal et en fonction aussi du poids terrible de la communauté. Une communauté qui, par ailleurs, ne brille pas forcément par son modernisme et encore moins pour son ouverture d’esprit – mais cela fait-il nécessairement des gens des ordures ? – et dans laquelle les femmes des uns deviennent des objets sacrés tandis que celles des autres ne sont que des objets livrés à la concupiscence. À ce titre la manière dont Vanessa Ronan utilise avec circonspection mais efficacité dans les dialogues de la première partie de son roman l’absence de point d’interrogation dans les questions que posent les hommes aux femmes quand ils leur demandent quelque chose, transformant ainsi chaque requête, aussi poliment formulée soit-elle, en ordre, révèle bien ce déséquilibre et l’hypocrisie sur laquelle est fondée la relation hommes-femmes dans la communauté. Et la force de caractère de Lizzie, son indépendance farouche malgré une fragilité qu’elle doit dissimuler constamment est d’autant plus éclatante et, partant, participe aussi en fin de compte de la crispation de la population vis-à-vis de sa famille.
De tout cela Vanessa Ronan fait un récit vénéneux, insidieusement pourri par les non-dits, la dissimulation, l’ambigüité des démarches de chacun. Porté par une tension étouffante, dérangeant autant par ce qu’il révèle de noirceur chez les honnêtes gens que par ce qu’il dévoile de poignant chez les salopards, Rédemption est un roman qui secoue le lecteur tout en le subjuguant par sa justesse et son refus de s’enferrer dans des jugements définitifs. Il parle ainsi autant de la relativité de la justice que de la fragilité de l’innocence, de la nécessité et de l’impossibilité de préserver l’une comme l’autre, et de la profonde ambigüité de la rédemption. Peut-on y accéder si l’on ne regrette pas ses actes ? Dépend-elle de soi ou des autres ? Peut-elle seulement exister ? On ne cherchera pas de réponses dans le livre de Vanessa Ronan, mais seulement des questions. Toujours plus.
Vanessa Ronan, Rédemption (The Last Days of Summer, 2016), Rivages, 2017. Traduit par Alexandre Lassale. 414 p.