Transsiberian back to black, d’Andreï Doronine

Publié le par Yan

« Thoka, un petit mec trapu, gagnait son fric de manière extravagante – attaquant dans le dos des passants isolés, en les assommant par-derrière avec des chats gelés à mort et durs comme de la pierre. »

De l’argent, il faut bien sûr en gagner pour pouvoir s’acheter de l’héroïne ou n’importe quel substitut un tant soit peu valable. Et si les températures glaciales de l’hiver du nord de la Russie aident d’évidence à trouver des moyens originaux de le faire, il n’en demeure pas moins que la quête reste difficile ; presque autant que les tentatives plus ou moins résolues de réhabilitation.

C’est de ces expédients, de ces tentatives tragicomiques pour trouver de quoi se shooter, pour trouver de l’argent pour se shooter ou pour trouver la force de ne pas se shooter, dont parle le livre d’Andreï Doronine à travers des tranches de vies, des anecdotes carnavalesques qui exposent une réalité tout à fait triviale.

« "Comment peut-on plaisanter sur les drogues ? C’est horrible, horrible !" L’indignation des inconnus se sentait à chaque signe de ponctuation. Si les traitements de texte avaient pu traduire les sentiments, alors chaque lettre dans le courrier que je recevais à l’époque aurait été entourée trois fois et, à la place des signatures, se seraient étalées les marques noires de la forme d’un crâne et de deux tibias croisés de poulet. » écrit Doronine en ouverture de Transsiberian back to black, avec, n’en doutant pas, une certaine satisfaction à voir ses concitoyens s’offusquer certainement moins de l’humour avec lequel il aborde le sujet que le fait que celui-ci ne soit abordé ni par le biais de la condamnation de la drogue et de ses consommateurs ni par celui de la plainte déchirante doublée d’une saine contrition.

Car Transsiberian back to black n’a rien d’un plaidoyer contre la drogue, ni non plus d’un récit édifiant destiné à en détourner le lecteur, quand bien même ce dernier aura sous les yeux le portrait de la déchéance, de la perte d’estime de soi, de la trahison et de la rupture progressive avec tout ce qui pouvait compter avant l’addiction. Doronine se contente de raconter sans affèteries, d’une manière brute – qui n’exclut d’ailleurs pas dans la recherche d’une certaine épure de l’écriture, une véritable ambition littéraire – le quotidien du drogué saint-pétersbourgeois par le prisme de ces tranches de vie, et parfois de mort, abordées par le prisme d’une autodérision qui, pour être salutaire, n’en porte pas moins une certaine gravité. On rit donc, et même parfois très franchement, à la lecture de ces histoires rocambolesques, mais elles laissent aussi un arrière-goût amer pour ce qu’elles révèlent de la rudesse de ce quotidien et du fonctionnement violent d’une société dans son ensemble. Les chapitres consacrés au théâtre pour enfants dans lequel se fait embaucher le narrateur ou à l’hôpital sont sur ce point édifiants.

Noir, violent, hilarant, porté par une écriture d’une rare efficacité sans être « sèche » pour reprendre l’axiome à la mode, Transsiberian back to black est une lecture aussi rugueuse que subtile et réjouissante.

Andreï Doronine, Transsiberian back to black, La Manufacture de Livres, coll. Zapoï, 2017. Traduit par Thierry Marignac. 170 p.

Publié dans Noir d'Europe de l'Est

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