Hôtel du Grand Cerf, de Franz Bartelt

Publié le par Yan

Voilà cinquante ans que Rosa Gulingen, héroïne de films à l’eau de rose, a rendu son dernier soupir dans une baignoire de l’hôtel du Grand Cerf, de Reugny, petit village belge des Ardennes. C’est l’occasion pour un producteur parisien de se lancer dans la réalisation d’un documentaire sur les circonstances de cette mort. C’est Nicolas Tèque, enquêteur, régisseur, accessoiriste… bref, tout et n’importe quoi, qui est chargé d’aller effectuer des repérages et, pourquoi pas, confirmer que Gulingen est morte, non pas d’un accident domestique, mais assassinée.

Sauf qu’à Reugny, au même moment, un tueur est justement à l’œuvre, qui vient de décapiter à la chevrotine le douanier à la retraite – et unanimement haï– du patelin, et que Vertigo Kulbertus, éléphantesque inspecteur à quinze jours de la retraite et aux méthodes singulières débarque lui aussi.

On ne va pas s’en cacher, c’est toujours un immense plaisir que de retrouver Franz Bartelt et l’on ne peut que se réjouir qu’il ait trouvé sa place dans la nouvelle collection du Seuil, Cadre Noir. D’autant plus qu’Hôtel du Grand Cerf et sa galerie de personnages étonnants associe avec bonheur humour et portrait au vitriol d’une petite communauté faussement tranquille aux vieilles haines recuites dans un emballage de whodunit dynamité par un Vertigo Kulbertus dont la manière d’enquêter repose plus sur un approvisionnement régulier en bières, frites et cervelas ainsi que dans la déstabilisation des témoins et suspects que dans la recherche de preuves :

« - […] je vais vous poser une question difficile. Je peux ?

-Oui.

-Quels rapports entreteniez-vous avec Jeff Rousselet ?

Meyer eut un instant d’hésitation. Kulbertus fit celui qui en sait plus long qu’il ne veut bien le dire et qui n’en attend que la confirmation.

"Bé, à vrai dire, on n’avait pas de rapports…

-Vous ne l’aimiez pas.

-Non.

-Vous ne l’aimiez vraiment pas.

-C’est-à-dire que… on vous l’a peut-être dit au village…

-On dit bien des choses au village.

-Il a tiré mon père comme un lapin. C’est de la vieille histoire, mais on n’oublie pas. Question de respect pour les morts.

-Comme un lapin, vous dites, Meyer ?

-Oui. Comme un lapin.

-J’aime bien le lapin."

L’inspecteur défroissa une feuille de papier, l’étala devant lui et écrivit, en grosses capitales : LAPIN. »

C’est ainsi, avec humour et sensibilité ainsi qu’avec une écriture toujours imaginative que Bartelt déroule une enquête qui met au jour la triste banalité du crime et la manière dont finissent par se confire les détestations dans une petite communauté refermée sur elle-même. Pour autant, là où le cynisme pourrait permettre de dresser une interminable galerie de portraits de salauds, Bartelt laisse toujours un peu de place à l’empathie sans jamais verser dans la moralisation facile : « Il aimait encore assez bien boire, de temps en temps. Même trop, s’il le fallait. Il y a des moments où l’excès met un peu de grandeur dans les petitesses de l’existence ». Et si, d’ailleurs, les plus pourris finiront par être punis, ce sera d’une façon tout ce qu’il peut y avoir d’immorale, Vertigo Kulbertus n’étant pas forcément du genre à laisser la justice faire tout le travail.

C’est dire si Hôtel du Grand-Cerf se lit avec un double plaisir : celui de la langue de Bartelt et de ses aphorismes, et celui du récit délicieusement subversif.

Franz Bartelt, Hôtel du Grand Cerf, Seuil, Cadre Noir. 2017. 346 p.

Du même auteur sur ce blog : Le jardin du Bossu ; Chaos de famille ;

Publié dans Noir français

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L
Un gentil polar faussement à l’ancienne où les petites histoires et secrets du petit village reviennent tout à coup. Le style, l’écriture, les personnages, l’atmosphère et surtout les lieux qui me sont connus font que j’ai passé un très agréable moment de lecture.
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