Le jardin du Bossu, de Franz Bartelt
Osons l’oxymore. Le jardin du Bossu commence comme une immense brève de comptoir. Et le narrateur et héros de nous raconter comme le con a débarqué dans le troquet. Un con vraiment con et vraiment bourré qui s’est mis à se vanter comme un con de tout le pognon qu’il avait chez lui, planqué dans son buffet. Vous pensez bien qu’un con pareil mérite de se faire dépouiller. C’est pour cela que le narrateur l’a suivi jusque chez lui puis a attendu que les dernières lumières de la maison du con s’éteignent pour entrer et lui piquer son fric. Sauf que le con n’était peut-être pas aussi beurré comme un petit Lu qu’il en avait l’air. Peut-être même qu’il n’était pas si con que ça.
Le narrateur, lui, c’est incontestable, ne se considère pas comme un con. Bien au contraire. C’est un homme de principes. Un homme « basé sur l’idée de gauche », mais qui veut bien faire une exception à son sens politique pour les beaux yeux (entre autre) de Karine qui, elle, est plutôt basée sur l’idée du pognon et qui « dégouline d’aptitudes lubriques ». Un homme qui fait même des alexandrins. Une espèce d’évadé des Deschiens.
Franz Bartelt attaque donc fort avec ce long monologue de philosophe de comptoir. Et le lecteur, après quelques pages peut se poser deux questions : l’auteur va-t-il tenir la distance sur les deux cents pages suivantes qui s’annoncent ? Vais-je moi-même tenir encore deux cents pages à ce rythme ? Parce que, quand même, l’intérêt de la brève de comptoir, c’est justement sa fulgurance.
Et pourtant, là, ça fonctionne plutôt bien, même si, naturellement, on détecte au bout d’un moment quelques baisses de rythme, voire quelques longueurs.
Le jardin du Bossu, entre dans la catégorie de ces romans atypiques, complètement barjots qui laisseront sans doute une partie des lecteurs sur le bord du chemin. C’est aussi un bel exercice de style très réussi, bourré d’humour et de noirceur, inquiétant sous le vernis de la grosse blague, et qui nous entraîne vers un dénouement réellement inattendu. Voilà un livre très recommandable.
Un petit extrait pour finir.
« Il ne me serait pas possible d’emporter tout. Même après avoir rempli mes poches, ma chemise, mon slip, mes chaussettes. J’ai jeté un œil dans la pièce, pour voir s’il n’y avait pas un sac, un cabas, un truc en osier ou en tissu, dans quoi j’aurais pu vider le contenu du tiroir. D’un autre côté, laisser du pognon quand on peut tout emporter relève d’une excellente mentalité. L’authentique voyou fauche la totalité. Le délicat accepte des concessions. Il y a voleur et voleur. D’un autre côté encore, quand on vole par amour pour une femme, plus on en vole et plus on prouve l’ampleur et l’étendue de son amour. D’un autre côté enfin, en tant que basé sur l’idée de gauche, je dois garder présente à l’esprit la notion de partage. Il ne s’agit pas de voler pour voler ou de voler pour s’enrichir, mais de voler pour mieux répartir les richesses, pour établir une société plus juste et une justice sociale. C’est aussi bête que ça ».
Franz Bartelt, Le jardin du Bossu, Gallimard, Série Noire, 2004. Rééd. Folio Policier, 2006.
Du même auteur sur ce blog : Chaos de famille ; Hôtel du Grand Cerf ;