Le Grand Jeu, de Percy Kemp

Publié le par Yan

C’est sous les auspices d’Homère et surtout de Rudyard Kipling que se place Percy Kemp dans ce nouveau roman mêlant espionnage et dystopie. Il y a pire comme figures tutélaires. D’Homère, on retrouve là la question de l’honneur auquel s’attache avec sa vision enfantine le jeune Mick tandis que les adultes qui l’entourent ne voient dans l’Iliade que l’illustration d’une déviance de l’honneur vers la sauvagerie, quand eux entendent jouer une partition qui, si elle n’est moralement pas plus acceptable a pour elle de leur faire au moins croire qu’ils jouent selon des règles acceptées de tous. Kipling, et plus particulièrement Kim, clairement cité dans le roman, est omniprésent aussi, puisque comme chez lui un jeune enfant se trouve mêlé au Grand Jeu que se livrent les grandes puissances en place.

Ce ne sont plus, comme dans Kim, la Russie et le Royaume Uni qui s’affrontent, mais d’autres pays qui, dans un monde post cataclysmique où l’hémisphère nord se trouve plongé dans un interminable hiver, ont su tirer leur épingle du jeu. L’Australie, la Chine, le Brésil et des États-Unis qui désirent retrouver leur puissance passée se lancent donc tous – et pas forcément pour les mêmes raisons – à la poursuite en Inde d’un scientifique susceptible de détenir une formule qui permettrait de produire une algue riche en protéines capable de résoudre la crise alimentaire qui touche la Terre. Orphelin livré à lui-même après que la communauté utopique dans laquelle il vivait avec ses parents près de Pondichéry a été attaquée par des pirates, Mick finit par croiser le chemin de Boone – que nous avions déjà rencontré dans Noon Moon – maître espion indolent au service de l’Australie qui décide de l’utiliser pour couper l’herbe sous le pied des Américains et des autres puissances lancées dans le Grand Jeu.

Débutant comme un roman d’aventures initiatique qui s’attache aux pas de Mick tentant de rejoindre Cochin, sur la rive occidentale de la péninsule indienne, à plusieurs centaines de kilomètres de la communauté d’Auroville qu’il fuit, Le Grand Jeu, devient aussi avec l’entrée en lice de Harry Boone un roman d’espionnage de haute volée dans lequel Percy Kemp se plaît à mettre en place une partie d’échecs complexe dans laquelle chacun – y compris vis-à-vis de son propre camp – cherche à dissimuler ses véritables intentions. Au milieu de tout cela, porté par la candeur de l’enfance et la griserie de sa participation à ce Grand Jeu pour lequel il pense se découvrir de réelles aptitudes, Mick se prépare à de cruelles désillusions tout en entretenant l’espoir que, dans l’éternel jeu de dupes dans lequel sont engagés les adultes qui l’entourent, il est encore possible de tirer quelque chose qui serait bénéfique à tous.

Si Noon Moon, impressionnant d’érudition pouvait parfois paraître un peu aride, Percy Kemp réussit avec Le Grand Jeu à allier avec bonheur le roman d’aventures palpitant et les considérations géopolitiques et philosophiques pertinentes et passionnantes. Bref, voilà un livre à ne pas manquer.

Percy Kemp, Le Grand Jeu, Seuil, 2016. 411 p.

Du même auteur sur ce blog : Noon Moon ;

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