Le mercredi des cendres (Noon Moon), de Percy Kemp
Cela faisait un moment que je n’étais pas allé voir du côté du roman d’espionnage, et cela faisait aussi un moment que j’entendais les éloges tressés à ce Noon Moon de Percy Kemp qui, du coup, reposait depuis plusieurs années sur une étagère. Un ultime commentaire enthousiaste (merci Sébastien) m’a finalement convaincu de m’y coller.
Le mercredi des cendres (originellement intitulé Noon Moon avant de passer en poche), raconte avant tout l’histoire de Zandie, jeune britannique travaillant pour les services de renseignement de son pays et pris en otage en Irak. Après des mois de captivité, il reçoit dans sa cellule la visite d’Alik Agaïev, un Abkhaze qui semble être au moins pour partie responsable de son enlèvement et qui entame avec lui un dialogue. Loin de la brute obscurantiste à laquelle il pouvait s’attendre à avoir affaire, Zandie découvre un homme cultivé, passionné par la philosophie grecque antique et dont le discours renvoie dos à dos les islamistes intégristes et le camp occidental mené par les États-Unis.
Parallèlement à ce premier fil, Percy Kemp invite le lecteur à suivre l’espion américain Charlie O’Shea, membre d’une officine appelée le Monastère dont la hiérarchie et une partie du fonctionnement sont calqués sur ceux de la communauté orthodoxe de la République monastique du Mont Athos. Lancée dans la lutte contre le terrorisme suite au 11 septembre 2001, le Monastère vient de se doter d’un allié mystérieux mais efficace répondant au nom de code d’Ami, qui élimine des dirigeants importants de la Confrérie (en laquelle on reconnaît bien entendu Al-Qaïda) et certains de leurs alliés. O’Shea se rend cependant vite compte que les cibles d’Ami deviennent au fil des mois des islamistes beaucoup moins impliquées dans le terrorisme.
Autant le dire d’emblée, les lecteurs qui, se fiant à la couverture de l’édition de poche indiquant qu’il s’agit d’un thriller, et au titre qui n’est pas sans évoquer de manière lointaine le Black Sunday de Tom Harris, chercheraient un suspense haletant et une action à la Tom Clancy en seront pour leur frais (sauf, peut-être dans les cent dernières pages de ce roman qui en compte cinq cents).
Percy Kemp fonde son suspense, bien réel, sur tout autre chose et en particulier sur les différents jeux de masques qui se mettent en place au fur et à mesure des chapitres. D’un côté avec la relation qui se noue entre Zandie et Agaïev, ce dernier passant peu à peu de l’islamiste voulant mettre à bas l’empire américain au prêcheur en faveur d’un remaniement total de cartes géopolitiques qu’il estime tronquées par l’égale vanité des Occidentaux et de la Confrérie. De l’autre, O’Shea se trouve aux prises avec sa propre officine dont il pointe la dérive, prêchant dans le désert quand son chef, tout à son cynisme et à sa propre vanité, refuse de dévier du chemin dans lequel il s’est engagé avec Ami.
Si, donc, suspense il y a et que la tension ne cesse de monter au fur et à mesure que Kemp dévoile parcimonieusement les cartes avec lesquelles jouent ses personnages, il faut certainement plus voir dans Noon Moon une habile et intelligente analyse de la donne géopolitique du monde du début du XXIè siècle, des faux-semblants et du cynisme sur lesquels elle est fondée, qu’un thriller.
Ce faisant, Percy Kemp offre au lecteur un livre certes prenant, mais aussi exigeant et surtout stimulant. On pense bien sûr, dans le genre aux meilleurs romans de Le Carré et de Robert Littell avec, en prime, un supplément de réflexion iconoclaste qui confère à ce Mercredi des cendres un indéniable attrait et en fait d’ores et déjà un classique du genre.
Percy Kemp, Noon Moon, Le Seuil, 2010. Rééd. Points Thriller sous le titre Le mercredi des cendres, 2011.
Du même auteur sur ce blog : Le Grand Jeu ;