Gravesend, de William Boyle

Publié le par Yan

Bientôt la trentaine, Conway voit enfin sortir Ray Boy Calabrese de prison. Seize ans auparavant, Ray Boy et sa bande ont persécuté Duncan, le frère homosexuel de Conway, jusqu’à ce que, en essayant de fuir, il soit renversé et tué par une voiture. Le retour de Ray Boy à Gravesend, ce quartier pauvre italien de Brooklyn fait parler. Il y a ceux qui pensent qu’il n’aurait jamais dû sortir de prison et ceux qui estiment qu’il n’aurait jamais dû y entrer. Pour Conway, en tout cas, une chose est sûre : il doit tuer Ray Boy.

Mais Ray Boy Calabrese n’est plus l’adolescent qui, presqu’une vie auparavant, a poussé Duncan à la mort et Conway n’est pas aussi fort qu’il voudrait l’être. La vengeance va alors prendre un tour d’autant plus inattendu que d’autres acteurs vont venir se mêler à la tragédie. Il y a McKenna, l’ancien flic alcoolique et ami de Conway, il y a la naïve Stephanie, il y a Eugene, le neveu de Ray Boy qui vit dans le culte du chef de bande qu’a été son oncle et qui rêve de lui succéder malgré sa patte folle, il y a la belle Alessandra, de retour de Los Angeles et, surtout, il y a le quartier.

Ainsi donc Boyle fait jouer ici une tragédie contemporaine dans laquelle se pose autant la question de la vengeance et de l’expiation que celle de l’impossibilité à échapper à un déterminisme social dans lequel s’enferme toute une communauté. En seize ans, le quartier que retrouve Ray Boy Calabrese n’a finalement pas changé. Les mêmes personnes y vivent et y meurent, les plus âgés n’ont pour certains même jamais mis les pieds en dehors de Brooklyn et voient Manhattan comme une terre étrangère et lointaine. Et les affaires se règlent entre soi. Mais de la communauté soudée au ghetto, il n’y a qu’un pas. Aussi voit-on là une société d’ouvriers et de petits commerçants incapables de s’extraire de leur condition et qui accumulent une énorme frustration. Ainsi en va-t-il du père d’Alessandra :

« Le bac était petit et son père avait fixé des rideaux en plastique sur les quatre côtés, et même autour de la pomme de douche, pour éviter que les joints moisissent. Ne restait plus qu’un espace très sombre et étouffant. (…) Le confinement du bac de douche était - et avait toujours été - le projet d'un homme qui avait connu trop d'échecs dans sa vie et refusait d'être par-dessus le marché vaincu par la moisissure. »

Alessandra, justement, partie à Los Angeles pour poursuivre un rêve d’adolescente, n’a jamais décroché un rôle, seulement fait de la figuration, et revient là sans projet et sans avenir, ce qui ne l’empêche pas de fasciner Stephanie pour qui le simple fait d’avoir quitté le quartier apparaît comme un geste d’une audace folle.

Car si l’intrigue se cristallise autour de Conway et Ray Boy, c’est bien cette impossibilité à s’extraire de Gravesend, qui est au cœur du roman de William Boyle. C’est la peur du monde extérieur et la haine de celui que l’on ne peut quitter et dans lequel on se trouve sans cesse face à ses propres failles. Conway ne peut échapper à sa propre lâcheté, Ray Boy ne peut fuir son passé et s’est d’ailleurs fait une raison en espérant que Conway puisse abréger cette souffrance, Eugene ne sait pas encore qu’il ne sera jamais pour tout le monde que le boiteux à grande gueule du quartier, Stephanie ne pourra jamais quitter a mère, et Alessandra a beau rêver d’ailleurs, elle reste collée à Gravesend. Toute cette frustration, finalement ne se retourne pas contre la société. Elle vient frapper les personnages et leurs parents à qui ils reprochent de n’avoir pas été différents de ce qu’ils sont eux-mêmes devenus, adultes aux rêves étriqués et égoïstes. Bref, un cocktail qui, dans le pire des cas, débouchera sur une violence désespérée.

William Boyle méritait bien de décrocher le numéro 1000 de la mythique collection Rivages/Noir. Non pas parce qu’il propose avec Gravesend un roman exceptionnel mais bien parce que l’on y retrouve en quelque sorte tout ce qui compose la personnalité de la collection (du noir, un instantané de la société, des personnages forts et complexes) et qu’avec ce premier roman l’éditeur montre que le genre est loin d’être mort et que ce millième livre n’est pas une fin mais seulement une étape dans une aventure amenée à durer. Sans doute que s’il était paru dans la masse des précédents ou suivants Rivages/Noir, Gravesend serait passé inaperçu… pas assez exceptionnel, peut-être un peu trop noir pour le grand public. Et l’on ne peut donc que se féliciter du coup de projecteur que lui vaut ce numéro 1000 sur la tranche et qui permet de découvrir une belle écriture dans laquelle les phrases chocs mettent en exergue la frustration et l’abandon des personnages. Bref, un vrai bon roman noir.

William Boyle, Gravesend (Gravesend, 2013), Rivages/Noir, 2016. Traduit par Simon Baril. 350 p.

 

Publié dans Noir américain

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P
J'ai découvert ce livre en errant dans les allées du palais du commerce à l'occasion du Quais du polar. La couverture m'a d'abord m'a attiré puis le résumé a terminé le travail. <br /> Je suis impatiente de le lire!
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