Envoyée spéciale, de Jean Echenoz
« Au vu de son ancienneté, sa hiérarchie a peu à peu allégé ses responsabilités même si, eu égard aux services rendus, on lui a laissé l’usage de son bureau, de son planton, l’intégralité de son traitement mais pas son véhicule de fonction. N’entendant pas être entièrement mis au rancart, Bourgeaud continue cependant à monter en douce quelques opérations pour ne pas perdre la main. Pour s’occuper. Pour la France. »
C’est ainsi que Constance, jeune femme désœuvrée mariée à une ancienne et égocentrique gloire de la variété, va croiser bien involontairement le chemin de la raison d’État. Ou plutôt d’une raison d’une partie remisée de l’État. Tombée entre les mains de barbouzes assez peu doués, la voilà séquestrée le temps pour elle d’être conditionnée et de lire le dictionnaire encyclopédique Quillet pour tromper l’ennui (en sautant des mots, toutefois). Et pendant que son époux décide qu’il peut se passer d’elle en voyant arriver des demandes de rançon, voilà Constance et ses geôliers qui développent pour l’une le syndrome de Stockholm et pour les autres celui de Lima, jusqu’à ce que leurs aventures les mènent à une bien hasardeuse mission d’infiltration en Corée du Nord.
Le dernier roman en date de Jean Echenoz, parodie de roman d’espionnage et ironique description d’une bourgeoisie parisienne à l’existence ennuyeuse et vide de sens fondée sur le paraître et un égotisme confondant, se révèle cocasse et enlevé.
Jouant avec le lecteur auquel il se plaît à s’adresser directement dans un exercice de style qui offre au narrateur un ton légèrement désabusé et cynique, à l’image d’une partie des personnages mis en scène, Echenoz prend d’évidence grand plaisir à s’amuser à placer tous ses protagonistes dans des situations abracabrantesques et à créer d’improbables coïncidences. Ici le narrateur n’est pas seulement omniscient, il est bavard et ne peut s’empêcher de donner son avis sur tout et n’importe quoi apportant un salutaire grain de folie à cette histoire agréablement tirée par les cheveux.
De fait Echenoz s’amuse et l’on s’amuse avec lui, même si, parfois, certains effets finissent par paraître un peu redondants. Envoyée spéciale ne révolutionne certes pas la littérature, et n’est sans doute pas un roman inoubliable, mais par sa vitalité contagieuse, les divers registres d’humour qu’il explore, sa constante ironie flegmatique, il se révèle être une lecture des plus agréables.
Jean Echenoz, Envoyée spéciale, Les Éditions de Minuit, 2016. 313 p.
Du même auteur sur ce blog : Vie de Gérard Fulmard ;