Meurtres à Willow Pond, de Ned Crabb
Ned Crabb a longtemps été considéré comme définitivement perdu pour le polar. Paru en 1978 aux États-Unis puis traduit en 1980 en France, La bouffe est chouette à Fatchakulla, dont parle avec finesse et précision le blog de Yossarian, participait de la légende de cet auteur à l’origine d’un unique mais réjouissant roman ayant acquis le statut de bouquin dont on se refile le titre avec délectation. C’était sans compter sur les éditions Gallmeister qui ont fini par mettre la main sur le second livre (et allez savoir, peut-être bien deuxième, si Crabb vit assez longtemps pour avoir le loisir d’en écrire un troisième d’ici 2050) du si peu productif romancier, paru en 2014 aux États-Unis.
L’éditeur de noir et de nature writing ne pouvait de toute manière passer à côté de cette histoire de meurtres commis sur un luxueux camp de pêche du Maine. Mystérieux meurtres chez les ploucs ? Eh oui, Crabb nous rejoue La bouffe est chouette à Fatchakulla quelques centaines de kilomètres au Nord. L’argument est le même : des meurtres, des tas de suspects, une police dépassée et des détectives amateurs prêts à les aider. En l’occurrence un délicieux couple de professeurs d’université retraités connus pour avoir fait la lumière sur les cambriolages de garde-mangers des environs (il s’agissait de l’inévitable ermite vivant dans les bois), amateurs de pêche et membres de la famille gérant le camp de pêche suscité.
Une fois encore, donc, Ned Crabb propose une variation décalée sur le thème du whodunit. C’est l’occasion dans le lieu isolé et vite clos du camp de pêche de Willow Pond, de dresser pour commencer une croustillante galerie de portraits : la vieille patronne tyrannique et grande gueule veillant sur l’héritage familial, les frère et sœur guides pêches – alcoolique pour le premier, cocaïnomane pour la seconde – tous les deux affligés de futurs ex-femme et mari attendant la mort de la vieille pour divorcer en touchant une part substantielle de l’héritage, le troisième de la fratrie destiné à reprendre l’entreprise au risque de susciter les jalousies et qui a peut-être d’autres projets, et des clients hauts en couleurs.
Arrivent ensuite les meurtres, plus ou moins prévisibles, et l’enquête qui, sous un vernis de sérieux, se révèle plutôt foutraque, jusqu’à un dénouement assez dénué de logique, mais incontestablement marrant dans lequel bons et méchants révèlent toute l’étendue de leur folie.
Alors non, le nouveau roman de Ned Crabb ne surprend pas – et en particulier si vous avez lu le premier – mais il offre un moment de lecture véritablement rafraîchissant. Malicieux, Meurtres à Willow Pond est un excellent exercice de pastiche de roman policier. Sans faire mourir de rire, sans appuyer trop fort sur les effets comiques, il se révèle être un incontestable plaisir de lecture, un livre dont on se délecte.
Ned Crabb, Meurtres à Willow Pond (Lightning Strikes, 2014), Gallmeister, 2016. Traduit par Laurent Bury. 420 p.