Vie de Gérard Fulmard, de Jean Echenoz

Publié le par Yan

1.68 m, 89 kg, ancien steward licencié pour faute grave, Gérard Fulmard, né à Gisors (Eure) le 13 mai 1974, célibataire demeurant rue Erlanger, Paris XVIe, a décidé de se reconvertir dans un emploi qui, à son sens du moins, ne nécessite pas de compétences particulières. Il sera donc dorénavant détective privé : « C’est humble, certes. C’est même ingrat. Mais cela peut rémunérer. C’est pour moi. » Gérard Fulmard, donc, va avoir tout loisir d’attendre un hypothétique client dans son salon transformé en bureau et salle d’attente par la seule grâce d’une paroi amovible en plastique vert et d’une planche de contreplaqué posée sur des tréteaux et recouverte d’un tapis Bulgomme. Heureux concours de circonstances, Fulmard va finir par attirer l’attention de quelques pontes de la Fédération populaire indépendante (FPI), parti politique de seconde zone en pleine recomposition et miné par les luttes d’appareil visant à en prendre le contrôle. C’est eux qui lui offriront sa seule véritable mission dont il va s’acquitter avec toute l’application dont il est capable. Et, c’est un fait, Gérard Fulmard peut peu.

Quatre ans après Envoyée spéciale, revoilà donc Jean Echenoz dans une forme de pastiche de roman de genre, ici une sorte de roman noir politique auquel il s’applique à donner le moins d’ampleur possible. Car Fulmard, comme la FPI et ceux qui se battent pour en prendre le contrôle ne sont ni de grands esprits, ni des personnages engagés, encore moins des aventuriers. Ce qui les guide tous, c’est la recherche du confort, d’une vague position de pouvoir et, plus particulièrement pour Fulmard, de subsides suffisants pour assurer une vie consacrée à une certaine forme de torpeur grisâtre.

Une fois encore Echenoz joue avec la narration. Fulmard raconte son histoire, un narrateur omniscient décrit ce qui se passe du côté des autres personnages et, parfois, les deux se mêlent subrepticement. L’intrigue est assez alambiquée pour retenir l’attention et servir de prétexte au roman, mais assez cousue de fil blanc pour permettre à Echenoz de jouer avec les personnages et les situations. Car chaque chapitre, chaque phrase même, est l’occasion de jeter un regard ironique sur ce qui se déroule, de décrire avec flegme et humour des lieux ou des personnes, de créer un décalage entre l’élégance de la narration et la familiarité ou la crudité de ce qu’elle raconte. Tout donc, y compris les noms des personnages, choisis méticuleusement, participe de la fabrication de ce roman noir dont tout l’intérêt repose justement dans la vacuité des personnages et de leurs actes. Et ce qui est formidable, c’est que cela fonctionne pourtant à plein, que l’on lit cette histoire de ratés sans épaisseur sans cesser de sourire, que l’on revient sur un paragraphe pour se délecter d’une description… si l’on aime les mots, on est ici bien servi.

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, Les Éditions de Minuit, 2020. 236 p.

Du même auteur sur ce blog : Envoyée spéciale ;  

Publié dans Noir français

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