Captain Blood, de Michael Blodgett

Publié le par Yan

Captain Blood est un homme entier. Très.

« En se rendant aux toilettes, Captain ralentit le pas devant le grand miroir du couloir, et contempla son image d’un regard admiratif. Il trouva qu’il avait une silhouette d’allure saine et robuste. Son pénis tumescent pendait, lourd, et semblait épais. Captain fit glisser d’avant en arrière son prépuce qui le démangeait un peu. Puis il fit claquer son sexe contre sa cuisse. Il le trouvait beau. Les hommes comme les femmes étaient souvent jaloux du physique avantageux de Captain Blood. Mais cela ne lui suffisait pas. En contemplant son sexe, il eut envie d’être apprécié parce qu’il avait une grosse queue. »

Narcissique, Captain Blood ainsi dénommé car son riche père, le docteur Blood, était un admirateur d’Errol Flynn, a aussi un sens aigu de la justice. Et donc, quand il trouve la vieille madame Pearlstein, locataire de l’immeuble qu’il gère, effondrée après avoir sans succès voulu se faire rembourser un fer à repasser défectueux, le jeune homme décide de faire cracher au bassinet le vendeur indélicat. Une action qui va éveiller quelques souvenirs et révéler peu à peu derrière le gosse de riche infatué une personnalité qui penche moins du côté de la droiture que de celui de la folie furieuse.

Certainement la propre carrière de Michael Blodgett, acteur ayant tenu en particulier le rôle d’un gigolo pour Russ Meyer dans La vallée des plaisirs (Beyond the Valley of the Dolls, 1970) a-t-elle nourri l’imaginaire de l’auteur qui se lance avec ce premier roman, paru en 1982, dans un étonnant récit de périple meurtrier. Plaçant le lecteur dans l’esprit d’abord gentiment malade puis de plus en plus inquiétant d’un personnage qui explique chacun de ses faits et gestes à l’aune de valeurs morales perverties, Blodgett joue de la fascination et de la répulsion qu’il peut inspirer tout en arrivant – et c’est là sa réussite – a garder une certaine distanciation ironique qui met en avant le caractère éminemment ridicule de Captain Blood.

Il n’en demeure pas moins qu’il faut avoir le cœur bien accroché pour s’engager dans les pas de ce pervers narcissique incestueux affligé d’une sévère propension à se sentir investi d’une mission destinée à rendre la justice pour rendre le monde plus moral. Des pas qui mènent Captain Blood dans un enchaînement proprement loufoque à partir du moment où il décide de s’attaquer à ceux qui vendent de la drogue à des adolescents avant de s’apercevoir de la multitude d’échelons de ce genre de trafic. Dès lors, la justice vengeresse qu’il entend exercer l’empêche de trouver une issue et le pousse à toujours aller plus loin, au risque peut-être de devoir considérer qu’il n’est peut-être pas le surhomme qu’il croit, y compris lorsqu’il se trouvera, avec une pointe de jalousie, dans la situation de comparer dans une écurie l’attirail dont il est le plus fier avec celui d’un étalon.

Objet étonnant, amoral et fascinant situé sur cette ligne de crête étroite qui chemine entre l’œuvre culte et le bouquin racoleur, Captain Blood est une curiosité et, indéniablement, un de ces livres dont la lecture, si elle n’est pas indispensable, est à tout le moins une drôle d’expérience.

Michael Blodgett, Captain Blood (Captain Blood, 1982 ?[1]), Rivages/Noir, 1994. Traduit par Jean-Paul Gratias.


[1] L’éditeur français indique étrangement une édition originale de 1979 quand il semble bien que tous les sites américains la place bien 1982. Et, pour troubler encore plus le tout, le personnage entend dans une scène la chanson Like a Virgin, sortie en 1984…

Publié dans Noir américain

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