Le Roi du K.O., de Harry Crews

Publié le par Yan

Eugene Talmadge Biggs, fils de paysans pauvres de Géorgie, a connu une carrière de boxeur pour le moins rapide. Tout comme celui qui y a mis fin en le battant une dernière fois, son ami Pete :

« Pete était le dernier boxeur à l’avoir mis K.O., le K.O. qui avait fait que Budd l’avait planté à la Nouvelle-Orléans. Quatorze mois plus tard, Pete était septième au classement mondial, une progression fulgurante, mais pas rare en boxe. Et six mois après avoir été septième, il se retrouva projectionniste au Flesh and Flash, ce qui était une dégringolade spectaculaire, mais pas rare en boxe. »

Eugene a un tout petit peu moins dégringolé que Pete. Affligé d’un véritable menton de verre qui fait qu’il se met à tomber, assommé pour le compte dès qu’il prend un coup, il a finalement mis cette faiblesse physique à profit pour continuer à gagner de l’argent avec la boxe. Charity, sa riche petite amie doctorante en psychologie l’a ainsi introduit dans les milieux interlopes de la Nouvelle-Orléans où Eugene se produit en se mettant lui-même K.O. face un public fasciné par cette petite mort auto-administrée et ravi de voir sa violence latente trouver un exutoire chez ce boxeur d’un genre inédit.

On est souvent tenter de réduire les romans d’Harry Crews à une sorte de grande galerie de freaks. Et l’argument de départ du Roi du K.O., renforcé par l’hallucinante prestation d’Eugene chez l’Huitre, pourrait, si l’on s’en tenait à une lecture très superficielle, aller dans ce sens. On est pourtant loin de l’étude des monstres de foire. Et si Eugene peut se sentir comme tel lorsqu’il doit aller accomplir ses prestations, il n’a pour autant pas moins conscience du fait qu’il est avant tout un pauvre fils de paysans sans éducation qui ne fait que tenter de vivre et de faire vivre sa famille en faisant la seule chose qu’il sache faire. Et pour ce jeune homme dont le rêve de devenir un grand boxeur a été brisé, le fait de devoir s’exhiber dans ce spectacle désolant apparaît comme une véritable souffrance.

Ignorant faute d’éducation mais pas stupide, fidèle en amitié comme en amour, timide et renfermé car trop habitué à subir et à être déçu, Eugene est une âme pure balancée dans le cloaque qu’est la Nouvelle-Orléans en particulier et la vie en général. Ce que l’on suit finalement dans ce roman noir, c’est la quête d’un homme qui ne trouve pas sa place dans le monde et qui ne cesse de se confronter à ses propres échecs, que ce soit dans sa carrière ou dans ses relations aux autres qui finissent inlassablement par se révéler être terriblement décevantes. C’est aussi une véritable descente aux enfers dans laquelle quelques échappatoires possibles peuvent apparaître… mais à quel prix ?

Sombre et tourmenté, terriblement pessimiste / lucide (rayer la mention inutile), Le Roi du K.O. est encore un beau et formidable roman de Crews, sans doute un des auteurs américains qui ont le mieux su saisir l’essence de l’Homme et ses interrogations sur sa place dans l’Univers.

Harry Crews, Le Roi du K.O. (The Knockout Artist, 1988), Gallimard, Série Noire, 1999. Rééd. Folio Policier, 2007. Traduit par Nicolas Richard. 399 p.

Du même auteur sur ce blog : Body ; Car ; Nu dans le jardin d’Eden ; Les portes de l'Enfer ;   Le karaté est un état d'esprit ; Péquenots ;

Publié dans Noir américain

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J
Bonjour Yan,<br /> <br /> Je suis pleinement d'accord avec toi. Celui ou celle qui lit un roman d'Harry Crews pour l'hitoire elle-même ne peut être que déçu. C'est dans l'arrière-scène qu'il faut aller voir et là, l'humain prend toute sa dimension. Merci pour cette belle chronique.
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J
Bonjour Yan,<br /> Effectivement, Harry Crews vaut plus qu'une lecture superficielle ou d'être réduit à un genre ou un sujet-type. Il est bon de le rappeler.<br /> Amitiés.
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