Péquenots, de Harry Crews
Bien qu’éclatée entre Gallimard, Sonatine, Allia et, maintenant, Finitude, la publication française de l’œuvre de Harry Crews se poursuit lentement mais sûrement. Dernier volume en date, Péquenots est en fait un recueil d’articles écrits par Crews entre 1974 et 1977 pour Playboy, Sport et Esquire et dont la version française ne reprend pas le premier d’entre eux, Descente à Valdez, publié il y a quelques années aux éditions Allia.
Péquenots s’ouvre sur un article au titre évocateur, La plus douce façon de trancher : la vasectomie, dans lequel Harry Crews conte quelles difficultés, dans le sud encore conservateur des États-Unis des années 1970, il a dû affronter pour arriver à se faire couper les canaux déférents. Abordée sur le ton de l’humour et de la provocation (« […] les infirmières m’ont lancé des regards noirs, leurs jeunes ventres désireux d’éprouver cette sensation de vie grouillante, elles savaient qu’il y avait désormais un homme de moins au monde susceptible de les aider à réaliser leur rêve. ») cette expérience comme toutes celles qui vont suivre éclaire à la fois sur la société de cette époque – et particulièrement celle du Sud profond – mais aussi et surtout sur Harry Crews lui-même à une époque où il a déjà écrit une bonne part de son œuvre mais pas encore sa biographie, Des mules et des hommes.
C’est tout le monde de l’auteur qui prend chair ici. Harry Crews peut ainsi évoquer son attirance pour les freaks (Forain) ou les jockeys (Un jockey dans la dernière ligne droite), raconter des soirées de beuveries, sa condition d’écrivain et, toujours, ce qui l’a mené là où il en est alors :
« Pour des raisons nombreuses et compliquées, les circonstances s’étaient combinées pour que j’ai honte d’être un fils de métayer. […] Tout ce que j’avais écrit l’avait été par peur et détestation de ce que j’étais et de celui que j’étais. […] Une fois que je me suis rendu compte que ma vision du monde et de la condition de l’homme sur terre serait toujours exactement et inévitablement façonnée par tout ce qui, jusqu’à ce moment, n’avait eu pour effet que de m’inspirer de la honte, une fois que je me suis rendu compte de cela, j’ai été libéré. Depuis lors, je n’ai cessé de me trouver fascinant. Au bout de quelques semaines seulement je m’aimais à l’infini et profondément. Je n’ai pas trouvé d’autre amour que celui-là dans le monde, et d’ailleurs n’en attend pas. » (Le sale cabot de la télévision)
On croisera là Charles Bronson à travers un portrait où se mêlent admiration et fascination, on vivra le souvenir du lynchage d’un éléphant, on apprendra comment tenter de surmonter un chagrin d’amour en partant de nuit avec des chiens pour chasser le renard et l’on croisera, sur les sentiers de randonnée des Appalaches des péquenots agressifs et des touristes complètement siphonnés. Que l’on ne s’y méprenne pas toutefois : sous cette sorte de foisonnement, cette apparence disparate, Péquenots est un recueil extrêmement cohérent. D’aucuns ont pu regretter qu’on n’y retrouve pas l’écriture des romans de Crews. Certes. Mais est-ce ce que l’on attend d’articles, fussent-ils écrits par un écrivain ? Ce que l’on y trouve par contre, c’est tout simplement Harry Crews sans fard et c’est un immense plaisir.
Harry Crews, Péquenots (Bloods and Grits, 1979), Finitude, 2019. Traduit par Nicolas Richard. 307 p.
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