Le karaté est un état d'esprit, de Harry Crews

Publié le par Yan

À peine sorti de l’adolescence, John Kaimon a déjà pas mal bourlingué à travers les États-Unis. Abimé, un peu perdu, ce jeune homme d’Oxford, Mississippi, qui arbore un pull à l’effigie de Faulkner assiste un beau matin à un étrange spectacle sur une plage de Floride. Tandis qu’un groupe de karatékas s’entraîne, une sublime femme se dévêt avant de défier un homme portant une ceinture jaune qui a eu le malheur de la regarder et de le terrasser. Fasciné, John va rejoindre le groupe et intégrer cette étrange école de karaté dirigée par un ancien militaire, Belt, et dont les membres, à commencer par Gaye Nell Odell, cette ancienne reine de beauté, se dépouillent de leur ancienne identité, de leur vie d’avant, décevante ou frustrante, pour se réaliser à travers cet art martial.

Comme souvent chez Harry Crews, on serait bien en peine de résumer plus que cela ce nouvel inédit, paru aux États-Unis en 1971, exhumé par les éditions Sonatine. Ce que l’on peut dire, par contre, c’est qu’on y trouve tous les grands thèmes qui sous-tendent l’œuvre de Crews : la façon dont les personnages se dépouillent de leurs oripeaux pour tenter de retrouver leur identité véritable, les corps torturés, une recherche désespérée aussi d’un amour qui semble tout le temps s’échapper, la difficulté aussi d’échapper à sa condition.

Pour dire tout cela, Harry Crews enchaîne ici les scènes étonnantes, hallucinantes ou grotesques, fait souffrir ses personnages. Tout cela semble parfois – notamment dans la deuxième partie du livre – suivre des chemins qui finissent dans des culs-de-sac, mais recèle par ailleurs de purs moments de poésie, de tension érotique, de loufoquerie ou de violence redoutables. Vu au prisme du regard de John Kaimon et de sa relative innocence, Le karaté est un état d’esprit apparaît comme une farce cruelle à sa manière. Le traitement fantaisiste de l’histoire, en effet, ne peut masquer l’impossibilité des personnages à accéder à la pureté à laquelle ils aspirent, dépassés qu’ils sont par leur propre égo ou dominés par des êtres dénués de scrupules.

Bref, on rit – ou du moins on sourit – souvent, on se délecte de la prose de Crews et l’on finit ce livre avec, une fois encore, un petit goût amer dans la bouche.

Harry Crews, Le karaté est un état d’esprit (Karate is a thing of the spirit, 1971), Sonatine, 2019. Traduit par Patrick Raynal. 230 p.

Du même auteur sur ce blog : Body ; Car ; Nu dans le jardin d'Éden ; Le Roi du K.O. ; Les portes de l'Enfer ; Péquenots ;

Publié dans Noir américain

Commenter cet article