O tempora ! O mores ! : L’honorable société, de Dominique Manotti et DOA
Un employé chargé de la sécurité du Commissariat à l’Énergie Atomique est assassiné entre les deux tours de l’élection présidentielle.
Difficile de résumer ce roman polyphonique touffu dans lequel évoluent, se croisent ou se heurtent un candidat de droite ambitieux, égocentrique et caractériel (« Quand j’aurais les pleins pouvoirs, je me chargerai moi-même d’en pendre quelques-uns à des crocs de boucher ! »), un commandant de police qui n’a rien à perdre, un jeune procureur, des barbouzes, de jeunes écoterroristes de pacotille dépassés par les événements, une grande chef d’entreprise qui place de grands espoirs dans le candidat de droite, un journaliste d’investigation reconverti dans la critique gastronomique qui reprend le manche pour tirer sa fille du guêpier dans lequel elle s’est fourrée, un candidat de gauche avec quelques casseroles, une femme trahie, une femme sans illusions sur son mari…
Pour autant jamais l’on ne se perd dans les méandres de cette histoire d’autant plus effarante que les auteurs ont choisi d’à peine masquer les personnages publics qu’ils mettent en scène et que le lecteur ne peut s’empêcher de se demander jusqu’où tout cela peut être crédible.
Engagé mais pas démagogique, jamais pontifiant, L’honorable société n’est tendre avec personne et tous les protagonistes de cette histoire portent leur part de cynisme, d’opportunisme, de lâcheté ou de mauvaise foi, à l’image d’une société dans laquelle, peu à peu, l’effort collectif le cède à l’individualisme et à l’égotisme.
Dominique Manotti et DOA devaient à l’origine travailler à quatre mains sur un scénario. On le ressent bien sûr dans la structure polyphonique du roman, la multiplication des points de vue, et sans doute aussi ce livre tire-t-il de ce projet originel la clarté de sa narration.
Le passage du scénario au roman explique sans doute aussi la sécheresse de l’écriture, sans fioriture, qui permet d’uniformiser le style mais aussi de se concentrer sur l’histoire et d’y entraîner le lecteur sans pour autant l’y noyer.
Il faut enfin dire que ces deux là se sont bien trouvés, qui étaient déjà l’un comme l’autre lancés dans la politique-fiction. L’union a fait la force et les deux auteurs nous offrent avec L’honorable société un roman abouti qui mêle le meilleur de Nos fantastiques années fric et de Citoyens clandestins. Comme dans leurs ouvrages précédents, ils réussissent à nous faire réfléchir sans pour autant nous servir une morale lénifiante. La conjonction de ces deux talents dont on peut penser qu’ils en sont sortis encore plus aguerris fait que l’on se prend à croire que l’on tient là – mais on s’en doutait déjà – deux auteurs qui peuvent en remontrer aux spécialistes anglo-saxons du genre, James Grady, Larry Beinhart, Henry Porter ou Robert Littell.
Dominique Manotti – DOA, L’honorable société, Gallimard, Série Noire, 2011.
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