Pukhtu Primo, de DOA
Ambitieux roman-fleuve sur la guerre en Afghanistan, Pukhtu, dont le premier [gros] volume a paru cette année en attendant une suite en 2016 s’annonce d’ores et déjà comme un grand roman noir géopolitique du genre à venir taquiner sur leur terrain les Don Winslow de La griffe du chien et autres Robert Littell.
Prolongement du déjà touffu Citoyens clandestins, Pukhtu est un roman qui combine polar, espionnage, géopolitique, drame, aventure, guerre et même romance. DOA, comme tout bon romancier, a bien compris que ce sont les hommes qui font l’Histoire au même titre que celle-ci vient les façonner, qu’ils soient au sommet de l’État ou le nez dans, au choix, la poussière, le sang, les dossiers ou une petite montagne d’héroïne. Et si cet Afghanistan de 2008, bourbier dans lequel s’empêtrent les Occidentaux tandis que les talibans gagnent du terrain, est au centre du roman, des fils se tirent, mondialisation oblige, vers le Kosovo, la France, les États-Unis, l’Iran, la Côte d’Ivoire, la Chine ou Dubaï.
Entrainés dans ce tourbillon d’un monde qui semble exploser, les personnages de DOA, Fox le mercenaire sans patrie désormais, ses camarades de Longhouse, compagnie privée au service de la CIA, Amel la journaliste française, Sher Ali Khan le contrebandier qui rejoint les rangs des insurgés talibans, Peter Dang le reporter canadien, Thierry Genêt l’homme d’affaires expatrié en Afrique, Storay la prostituée défigurée ou le mystérieux et dangereux enfant à la fleur, incarnent tous un point de vue. Des points de vue qui convergent, qui se heurtent, qui s’opposent et qui font apparaître toute la complexité d’un monde interconnecté dans lequel on tue autant avec des machines qu’avec des poignards ancestraux et des hommes et des femmes qui, quel que soit leur camp, ne sont ni noirs ni blancs. Un monde gris avec lequel il faut bien vivre et dans lequel, pour nombre de ces personnages, il s’agit avant tout de survivre.
La grande réussite de Pukhtu est là. DOA nous y plonge dans le réel, ponctué par les dépêches de presses, les bilans mensuels des morts et blessés, sans jamais perdre de vue le roman et l’action. Vertigineux et extrêmement documenté, Pukhtu fait ainsi découvrir certaines routes de la drogue, l’opacité des compagnies militaires privées, la guerre technologique désincarnée et celle des corps à corps, des bombes humaines, les raisons d’État, bonnes ou mauvaises, et les états d’âmes de ceux qui se trouvent pris dans l’engrenage immuable de cette guerre afghane.
Il y a des histoires vengeance, d’honneur, de dissimulation, d’amour, de trahison… tout ce qui fait l’Homme et le roman noir. Les données sont aussi là, brutes, et l’auteur leur donne la chair de ses personnages pour en faire un grand roman sur le monde d’aujourd’hui – et peut-être même déjà d’hier – dans toute sa complexité sans jamais chercher à énoncer une quelconque thèse. À chacun d’en tirer ce qu’il veut, en attendant la suite.
DOA, Pukhtu Primo, Gallimard, Série Noire, 2015. 675 p.
Du même auteur sur ce blog : Le serpent aux mille coupures ; La ligne de sang ; L'honorable société ; Pukhtu Secundo ;