La dette, de Mike Nicol
Quelque peu trusté depuis quelques temps par l’incontournable Deon Meyer malgré l’existence – ou la préexistence – d’autres excellents romanciers de noir comme Wessel Ebersohn ou Louis-Ferdinand Despreez, le polar sud-africain se doit désormais de compter aussi sur Mike Nicol.
Il est vrai que je découvre un peu tard cet auteur dont La dette a été publié l’an dernier par Ombres Noires et dont j’ai appris en ouvrant ce roman qu’il avait par ailleurs déjà été édité en France aux éditions du Seuil durant les années 1990 et 2000 – a priori dans des collections « blanches ».
Mais c’est bien vers du polar rugueux et retors que se tourne ce roman-ci de Mike Nicol mettant en scène deux anciens trafiquants d’armes ayant œuvré du côté de l’ANC et autres groupes luttant contre le régime d’apartheid et devenus après 1994 les gérants assez prospère d’une société de sécurité s’occupant de riches clients venant en Afrique du Sud essentiellement pour faire du tourisme médical. Dans leur première vie de trafiquants, Mace Bishop, le blanc, et son associé Pylon Buso, le Xhosa, n’ont pas agi seulement par idéalisme et cachent quelques cadavres dans leurs placards. C’est l’un d’eux qui est de sortie en 1998 en la personne de Ducky Donald, un ancien compagnon de route qui vient leur présenter la note d’une ancienne dette. Charge à Mace et Pylon d’essayer de protéger Ducky, son fils dealer et leur boîte de nuit des menaces d’attentat d’un groupe d’islamistes.
C’est à partir de là que les vies des deux héros et en particulier celle de Mace vont se trouver durablement perturbées. Car en désirant rembourser leur dette, ils mettent en branle un processus bien plus grand et dangereux qui voit des pans de leur passé qu’ils croyaient bien enterrés ressurgir à travers notamment la personne de Sheemina February, avocate aux motivations aussi troubles qu’inquiétantes.
Outre un rythme très soutenu qui entraîne Mace Bishop et Pylon Buso à chaque fois un peu plus loin dans leur passé là où l’on penserait de prime abord que l’on est arrivé au bout de l’intrigue, ce qui permet à Nicol de mettre en place plusieurs arcs narratifs au centre desquels se trouvent Mace, Pylon et, toujours en arrière-plan, Sheemina, l’araignée qui en fait tisse patiemment sa toile, La dette est un roman qui a aussi pour lui de dresser en filigrane un tableau assez sombre de la société sud-africaine des années de l’après apartheid. Un fossé entre les plus riches et les plus pauvres, généralement noirs, qui ne semble pas vouloir se combler, des règlements de comptes en suspens… Cela malgré la mise en place de la commission vérité et réconciliation et d’une politique appuyée de discrimination positive.
Sans être directement évoqué, c’est tout ce contexte que Mike Nicol arrive à faire passer avec son intrigue sans sombrer dans la démonstration. Ce faisant, il arrive avec brio à combiner portrait social et action tirée au cordeau dans un roman accrocheur et très intelligemment construit. D’autant plus que Nicol sait construire des personnages, principaux ou secondaires, réellement ambigus, aux motivations souvent contradictoires, façonnés aussi par leur histoire et celle de leur pays. Bref, une belle réussite qui rend impatient de connaitre la suite de cette trilogie annoncée.
Mike Nicol, La dette (Payback, 2009), Ombres Noires, 2013. Traduit par Estelle Roudet.
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