Du sang sur l’arc-en-ciel, de Mike Nicol
Après sa trilogie « Vengeance » dont on attend d’ailleurs le troisième volet après La dette et Killer Country, Mike Nicol continue dans le roman noir en suivant un nouveau héros, le détective privé Fish Pescado. Surfeur, un peu dealer d’herbe pour boucler ses fins de mois et comptant plus ou moins sur sa compagne avocate, Vicki Kahn, pour manger à sa faim, Pescado n’est pas vraiment un de ces personnages rugueux et dur à cuire à l’image de Mace et Pylon, précédents héros de Nicol. Mais en acceptant d’enquêter pour le compte du cabinet de Vicki sur une affaire de délit de fuite, il se trouve entraîné dans une affaire qui le dépasse.
Comme dans les précédents livres noirs de Mike Nicol, le passé de l’Afrique du Sud ressurgit – à travers ici les exactions d’une sorte d’escadron de la mort opérant entre les années 1970 et 1990 – pour mieux éclairer le présent. Car ce que veut montrer l’auteur c’est avant tout ce qui se cache, souvent bien mal d’ailleurs, derrière l’image lissée de la nation arc-en-ciel. Corruption, collusions, trafics, et, bien entendu, la pauvreté extrême d’une bonne partie de la population sont au cœur de Du sang sur l’arc-en-ciel.
« De la véranda de sa maison accrochée à flanc de montagne, Daro Attilane contemple son royaume : en bas, la douce pente du vlei qui glisse vers l’océan et à l’horizon les sommets du Hottentots, embrumés sur le fond du ciel. Entre les deux, le labyrinthe et les Cape Flats avec leurs repaires de drogués et de dealers, leurs gangsters, les townships et les bidonvilles des gens désespérés.
Toujours, quand Daro regarde ce paysage, il voit ce qui ne doit pas être vu.
-C’est le paradis, commente sa femme Georgina en leur apportant leurs cafés. Les matins comme celui-ci.
Georgina en tailleur noir de cadre pour son boulot de cadre en ville. Georgina la chasseuse de têtes.
Daro ne veut pas évoquer ce qui se cache au loin dans la brume, ni montrer les trois fumeries de crack juste en dessous de chez eux.
-Le paradis, répète-t-il. »
Surtout, comme dans La dette ou Killer Country, Mike Nicol se plaît ici à montrer les différentes facettes de ses personnages, jamais tout blanc, jamais tout noir, ils apparaissent complexes, chacun charriant ses mauvais souvenirs, ses mauvaises actions et ses erreurs. Et si les méchants le sont bel et bien, en partie parce que les circonstances et le pouvoir acquis le leur permettent, les gentils eux, demeurent des êtres faillibles et même parfois, à l’image de Fish Pescado, inconséquents.
Sans jamais être lénifiant, Nicol, à travers ce roman d’une grande noirceur et à l’action extrêmement maîtrisée bien que moins spectaculaire que dans ses récits noirs précédents – mais il gagne en épaisseur ce qu’il perd en ornements sensationnels – livre une histoire prenante, convaincante et instructive. Œuvre de fiction d’un réalisme cru, que d’aucuns pourront qualifier de pessimiste, Du sang sur l’arc-en-ciel n’épargne rien à ses personnages et réussit à allier avec succès l’exigence d’action du genre avec celle de circonspection nécessaire à la réalisation d’un portrait vraisemblable d’une société sud-africaine tiraillée entre son passé et son présent et toujours tenaillée par les inégalités.
Mike Nicol, Du sang sur l’arc-en-ciel (Of cops and Robbers, 2013), Seuil Policiers, 2015. Traduit par Jean Esch. 493 p.
Du même auteur sur ce blog : La dette ; Killer Country ; Power Play ; L'Agence ;