Les Mal-Aimés, de Jean-Christophe Tixier

Publié le par Yan

Auteur essentiellement de littérature de jeunesse, Jean-Christophe Tixier, après quelques nouvelles publiées aux éditions In8, livre avec Les Mal-Aimés un roman très sombre sur un sujet – les bagnes pour enfants – qu’il avait par ailleurs déjà abordé dans un de ses écrits à destination des adolescents, Traqués sur la lande. Ce faisant, là où Traqués sur la lande s’intéressait à la fuite d’un groupe d’adolescents, il montre là à ce que le bagne laisse derrière lui.

C’est dans l’arrière-pays héraultais que prend place l’intrigue des Mal-Aimés, dans les collines et la garrigue, une terre pauvre et une communauté qui a longtemps pu améliorer son ordinaire grâce à un bagne pour enfants qui offrait à la population du travail mais aussi la possibilité de se livrer à des commerces bien moins avouables. Au tout début du 20ème siècle, des années après la fermeture du bagne, des événements viennent troubler la vie de ce village qui dépérit. Des chèvres tombent malades, un homme se blesse mortellement en réparant sa charrue… Cela n’est au fond que la fatalité du quotidien. Mais pour certains, tout cela pourrait avoir un rapport avec ce qui s’est passé des années auparavant, et pour d’autres, ça pourrait être l’occasion de régler quelques vieux comptes. Au milieu du maelstrom qui se forme, Blanche et Étienne, deux adolescents qui, s’ils n’ont pas connu les affres du bagne vivent sous la coupe d’adultes violents, trouveront peut-être là l’occasion de s’émanciper d’une existence dans laquelle ils semblent destinés à courber l’échine et à endurer en silence.

Jean-Christophe Tixier alterne les points de vue, de Blanche à Étienne en passant par quelques figures remarquables du village, Angèle Cruere, éleveuse d’enfants placés par l’assistance sociale, le docteur Émile Morluc, venu s’installer ici comme en exil, désabusé autant par la veulerie des habitants que par sa propre lâcheté, Jeanne la grenouille de bénitier qui ne rachètera jamais les péchés qu’elle a pu laisser commettre, Géraud l’ermite qui fait jaillir la vérité par la crainte diffuse qu’il inspire… Tous ces regards sur les événements dans une communauté où tout le monde s’épie permettent aux pièces du puzzle de s’assembler progressivement en même temps que monte une tension, d’abord sourde, puis de plus en plus prégnante, dont on ne peut que sentir qu’elle mène à une explosion inéluctable. Car les mal-aimés, ici, ce sont autant les enfants et adolescents, ceux qui étaient enfermés dans le bagne dont la silhouette écrase le village, ceux aussi qui sont des années plus tard exploités d’une autre manière, que l’ensemble des habitants. Mal-aimés par eux-mêmes d’abord. Car derrière l’âpreté de leurs caractères et leurs vices souvent profonds, il y a aussi la culpabilité qui ronge certains, et la peur de la révélation de leurs actes passés et présents pour tous. À l’exception notable d’ailleurs d’un curé qui incarne à merveille la façon dont la foi vient parfois soutenir les actes les moins pardonnables.

Tout cela fait déjà des Mal-Aimés un roman particulièrement noir et bien plus fins que ce que la violence de ce récit pourrait laisser penser. Mais Jean-Christophe Tixier apporte autre chose encore. Chaque chapitre s’ouvre par un extrait tiré des véritables registres d’écrou de la maison d’éducation surveillée de Vailhauquès, dans l’Hérault, se rapportant à la manière dont un des pensionnaires y est mort. Cette prose froide, sans affect, est certainement ce que l’on trouvera de plus violent dans ce livre et est l’élément essentiel, celui autour duquel tout tourne finalement, de cette histoire tragique. C’est une belle réussite.

Jean-Christophe Tixier, Les Mal-Aimés, Albin Michel, 2019, 326 p.

Du même auteur sur ce blog : Effacer les hommes ; La ligne ;

Publié dans Noir français

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B
bonjour<br /> j 'ai lu ce livre très noir, mais malheureusement véridique l'enfance était mal traitée les gens non éduqués<br /> en 1901. il reste après cette lecture un gout amer mais une question est ce que maintenant en 2019 les choses ont changé ? en tout cas vous avez raison c' est une réussite .Et puis cet auteur est très sympa
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