Paris-Brest, de Tanguy Viel
Le narrateur de Paris-Brest est le fils d’une famille déchue. Ils ont compté à Brest, lorsque son père était le président du club foot, avant de laisser un trou de quatorze millions dans la caisse et de devenir l’homme le plus unanimement détesté de la ville. Au grand désarroi de la mère, bien entendu, pour qui le regard des autres est devenu trop pesant, au point d’accepter le conseil de leur ami le procureur et de s’exiler à Palavas-les-Flots pour ouvrir une boutique de souvenirs :
« Mais donc, même en tant qu’ami supposé de ma mère, le procureur de la République ne pouvait pas faire moins, étant donné la situation, étant donné les quatorze millions qui manquaient dans la caisse de la société, il ne pouvait pas faire moins, a-t-il dit à ma mère, que de destituer mon père et de l’encourager à l’exil. C’est même en tant qu’ami qu’il a évoqué le Languedoc-Roussillon comme la région idéale pour l’exil et comme une des plus belles de France. Mais quelqu’un qui vous dit que le Languedoc-Roussillon est une des régions les plus belles de France, moi je n’appelle pas ça un ami. »
Il y a aussi la grand-mère, remariée sur le tard avec un richissime vieillard dont elle assez vite hérité de la fortune, mais aussi de la gouvernante, Madame Kermeur.
Il y a donc, enfin, le fils Kermeur, du même âge que le narrateur, intrusif, mauvaise graine. Le narrateur est resté pour s’occuper de sa grand-mère pendant que le reste de la famille partait essayer de vendre des briquets estampillé « Palavas », avec un P en forme de parasol.
Puis on le retrouve trois ans plus tard. Il a depuis quitté Brest pour Paris et revient le temps des fêtes de fin d’année avec, dans sa valise, le manuscrit d’un roman familial qui ressemble beaucoup à ce qu’il a vécu.
Sous un apparent dépouillement, Tanguy Viel propose avec Paris-Brest un roman d’une grande richesse. Il y a bien entendu cette cellule familiale malsaine dans laquelle les non-dits ont fini par instaurer une ambiance de pourrissoir dans lequel se vautre en particulier la mère, jamais remise de la chute brutale qui a suivi sa rapide ascension sociale. La famille, ici, est un carcan oppressant, plus encore que la petite société de province dont le regard est devenu écrasant. Tout le monde surtout a quelque chose à dire ou à montrer : le père reste malgré tout cet entrepreneur optimiste qui croit pouvoir se relever de tout, le frère est un footballeur doué, la mère lorgne sur l’argent de la grand-mère, et cette dernière ne veut pas mourir. Le narrateur, lui, cherche désespérément à exister. Et si ses actes, sous l’influence du fils Kermeur, auront des conséquences non négligeables, c’est surtout par le biais de son manuscrit qu’il va pouvoir s’affirmer. Car là, pour une fois, les choses sont dites, parce que le miroir qu’il pourrait tendre à sa famille s’il le voulait – mais le veut-il, ou aime-t-il seulement l’idée de pouvoir le faire ? – offre un reflet cruel.
Il y a donc cette histoire grise, affligeante tant elle met en lumière la vanité, la lâcheté et le désir de revanche mal placé. Et il y a l’écriture de Tanguy Viel, à la première personne, celle de ce narrateur apparemment falot, sans doute motivé par un certain égoïsme mais surtout par le désir de se libérer des chaînes que constituent sa famille, le fils Kermeur et Brest, peut-être, sans pour autant arriver à couper les ponts. Il porte en fait un regard acéré sur les autres et sur lui-même. On imagine qu’il parle lentement et d’un ton monocorde, on le voit baisser les yeux, détourner le regard, courber l’échine mais n’en penser pas moins. Alors, furtivement, la mélancolie du récit se teinte d’un humour grinçant, discret, mais omniprésent… Marrant à pleurer.
Tanguy Viel, Paris-Brest, Les Éditions de Minuit, 2009. Rééd. Minuit Double, 2013, 174 p.
Merci à Constance.