Les Mauvaises, de Séverine Chevalier
C’est un livre aussi étrange qu’envoûtant, à la manière de sa première phrase – « Le cadavre disparut la même nuit que les bêtes » – que propose Séverine Chevalier avec Les Mauvaises, chronique d’un été tragique et poisseux quelque part au centre de la France des années 1980 tournant autour du suicide de Micheline Broume, dite Roberto, quinze ans, et de la disparition de son corps.
On ne s’aventurera pas ici à aller plus avant dans le résumé de l’histoire toute en détours, pour ne parler que de quelques aspects de ce riche roman. Il y a d’abord, au cœur du livre de Sévérine Chevalier une histoire d’amitié. Roberto, Ouafa et Éo, allient leurs solitudes. La première est seule parce qu’elle traîne une mauvaise réputation de fille facile, la deuxième parce qu’elle n’est pas d’ici le troisième, du haut de ses onze ans, car il n’est pas comme les autres et apparaît presque même comme une incarnation d’un esprit de la forêt avec tout ce que cela suppose d’incontrôlable et d’inquiétant. Tout comme d’ailleurs, cette nature qui semble parfois se refermer autour du village, gagne du terrain, et que les tractopelles de l’entreprise du beau-père d’Éo tentent de repousser pour faire avancer son idée de la civilisation : une extension à son usine, seule activité semblant encore justifier l’existence du village de Souterre. Il y a ensuite, en filigrane, le portrait sans fard de cette petite communauté villageoise dans laquelle tout le monde se connaît ou croit se connaître, où les secrets s’enfouissent mais, comme les galets l’hiver, ont une sale tendance parfois à remonter à la surface, et pas forcément là où on s’attendrait à les trouver. Une communauté où l’on fait mine de se respecter mais où on n’oublie pas les grandes ou petites offenses, et où les étrangers comme Fortuna, le routard solitaire qui se verrait bien, pourquoi pas, le temps de quelques mois d’arrêt, s’installer peut-être ici, sont accueillis avec froideur et méfiance et où on les regarde repartir avec un soulagement certain.
Tout cela, surtout, Séverine Chevalier le raconte avec ses mots qui, comme on a déjà eu l’occasion de le voir et de le dire à propos de Clouer l’ouest, ont cette formidable capacité à s’agencer de manière à être à la fois beaux et justes, avec subtilité mais sans affèteries. On est ainsi étonné parfois de se laisser prendre par des personnages comme Éo, ou à croire sans sourciller à la dame au Bec de Ouafa, à ces incursions aux limites de la réalité, tout simplement parce que la romancière sait leur donner une chair incontestable. Certainement parce que l’esthétisme de son écriture n’est jamais gratuit et qu’il recèle un fond d’une grande richesse. C’est peu dire que la lecture d’un roman de Séverine Chevalier, aussi sombres et parfois désespérées que puissent être ses histoires, bouleverse et illumine.
Séverine Chevalier, Les Mauvaises, La Manufacture de Livres, coll. Territòri, 2018. 209 p.
Du même auteur sur ce blog : Clouer l’Ouest ;