Demain c'est loin, de Jacky Schwartzmann
François Feldman a, comme il le dit, « un nom de juif et une tête d’arabe » même si « en fait [je suis] normal ». Par ailleurs, il est originaire de la cité des Buers, à Lyon. Nom juif, tête d’arabe, originaire d’une cité « sensible », voilà un triple handicap. Pas sûr non plus que l’homonymie avec l’interprète des éternelles Valses de Vienne soit vraiment un avantage. Autant dire que lorsqu’il décide de lancer une opération de la dernière chance pour son entreprise de fabrication de vêtements ornés de fausses citations de personnages célèbre avec un tee-shirt arborant la maxime « Bonjour, c’est bien ici Charlie Hebdo ? » attribuée à Chérif Kouachi, il ne suscite pas du tout l’enthousiasme de Juliane Bacardi, sa banquière, à laquelle il est venu demander un nouveau prêt. Quand, quelques heures plus tard, par un malheureux concours de circonstances, François croise de nouveau Juliane, celle-ci vient de proprement écrabouiller sous son Audi le cousin d’un gros caïd des Buers. Entraîné un peu malgré lui dans la cavale de sa banquière, François Feldman va avoir fort à faire pour sauver sa peau et celle de sa banquière.
Les histoires de duos mal assortis obligés de se serrer les coudes sont un sujet assez rebattu pour qu’il soit bien compliqué d’en faire quelque chose d’original. Jacky Schwartzmann, pourtant, arrive à tirer son épingle du jeu avec ce roman que l’on lit avec un réel enthousiasme. Cela tient d’abord au mauvais esprit affiché de l’auteur qui manie avec assurance un humour de deuxième et même troisième degré basé sur les stéréotypes, et ensuite à sa capacité à ne laisser aucun temps mort sans pour autant rendre écœurant le flot ininterrompu des répliques et rebondissements.
L’enchaînement des situations cocasses, le récit à la première personne de François Feldman avec sa vision pour le moins décalée des événements et des personnages qui croisent sa route, et la manière dont le personnage de Juliane Bacardi prend une épaisseur inattendue au fil des événements confèrent à Demain c’est loin une énergie et un fond qui lui permettent de dépasser la simple pochade sans rien sacrifier ni à l’humour, ni à ce que Jacky Schwartzmann entend dire, moins sur le monde tel qu’il est que sur les gens tels qu’ils croient être. Cela donne en fin de compte un roman énergique, amusant et bien plus fin qu’il n’y paraît de prime abord. Recommandable, donc.
Jacky Schwartzmann, Demain c’est loin, Seuil, coll. Cadre Noir, 2017. 185 p.
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