Les derniers jours d’un homme, de Pascal Dessaint
Clément a quitté son travail dans l’usine sidérurgique qui fait à la fois survivre et mourir la petite ville du Nord dans laquelle il a grandi. Vivotant grâce à un boulot d’élagueur, il élève seul, après la mort de sa femme, sa fille, Judith, et voit peu à peu la misère gagner du terrain alors que s’annonce la fermeture de l’usine.
Quinze ans plus tard, Judith essaie de savoir qui était son père et ce qui l’a mené à la mort.
De ce dialogue à quinze ans de distance entre un père et sa fille, Pascal Dessaint au-delà d’un échange intime parfois bouleversant, toujours empreint de tendresse, tire un portrait sans fard d’une région en crise et de ses contradictions. Ainsi voit-on ses ouvriers s’accrocher avec la force du désespoir à l’usine qui les tue eux, leurs enfants, et la terre à laquelle, malgré tout, ils restent attachés. Et Dessaint, soucieux de sortir de l’image d’Épinal, de montrer les limites de la lutte des classes dès lors que l’emploi et donc la survie est remis en question ; cette manière dont on se voile la face sur la plombémie de ses enfants lorsque l’on a pour les nourrir que le travail pour l’entreprise qui les a rendu malades, cette façon dont l’esclave défend avec acharnement son maître malgré les mauvais traitements car il est le seul à pouvoir encore le nourrir.
Chronique d’une terre abandonnée à elle-même dans la plus parfaite indifférence, Les derniers jours d’un homme dépeint avec une précision et retenue qui les rendent encore plus forts les femmes et les hommes qui l’habitent. Pas de personnage parfait ni de salaud intégral, juste des gens qui essaient de garder la tête hors de l’eau, du plomb et du cadmium ; certains moins efficacement retenus par la laisse qu’a passée la multinationale installée là à la quasi-totalité d’entre eux.
Certes le dénouement peut laisser le lecteur sur sa faim, mais ce que l’on retiendra de ce roman, c’est moins cet aboutissement nécessaire pour clore l’histoire que tout le chemin parcouru aux côté de Clément et de Judith ainsi que le tableau peu à peu dessiné du délitement d’une société qui s’est entièrement donnée aux vautours. Livre pessimiste en ce qu’il montre qu’un homme seul ne peut renverser la vapeur mais qui fait briller une étincelle d’espoir en laissant penser que cet homme seul a peut-être semé une graine qui finira par éclore, Les derniers jours d’un homme est un roman d’une redoutable justesse qui, sans abandonner l’idéalisme ne transige pas avec la rudesse de la réalité.
Pascal Dessaint, Les derniers jours d’un homme, Rivages/Thriller, 2010. Rééd. Rivages/Noir, 2013.
Du même auteur sur ce blog : Le bal des frelons ; Maintenant le mal est fait ; Les paupières de Lou ; Le chemin s'arrêtera là ;