Le dernier tigre rouge, de Jérémie Guez
Homme façonné par la guerre qui lui a volé sa femme et lui a désappris la vie civile, Charles Bareuil embarque en janvier 1946 pour l’Indochine avec son régiment d’infanterie de la Légion Étrangère. Avec ses compagnons d’armes, anciens résistants, partisans ou nazis, celui qui a combattu pour libérer un pays occupé fait cette fois partie de l’armée d’occupation. Mais si sa conscience peut le tirailler, Bareuil va surtout rapidement se trouver engagé dans un combat d’homme à homme lorsque son chemin va croiser celui d’un autre tireur d’élite européen engagé auprès du viêt-minh.
Après trois romans noirs contemporains situés à Paris, Jérémie Guez change radicalement de lieu et d’époque avec ce roman noir historique. Une intention on ne peut plus louable à une époque où, fort de leur succès, les écrivains tendent à servir pendant des années – avec plus ou moins de bonheur – la même recette qui a fait leur gloire.
Cela commence d’ailleurs plutôt bien, Guez plantant adroitement son décor, créant une ambiance lourde de danger et pleine de promesses d’aventures tout en prenant soin de ne se laisser aller ni au manichéisme ni a l’encyclopédisme dans lequel ce genre d’ouvrage peut facilement tomber. Légionnaires comme vietnamiens comptent chacun dans leurs rangs leur lot de salauds et de braves types avec leurs histoires, leurs lâchetés ou leurs actes de bravoure, à commencer bien sûr par Bareuil et son mystérieux adversaire dont on suit les deux trajectoires tout au long de la guerre d’Indochine, trajectoires amenées, donc à se croiser à plusieurs occasions.
Pour autant, et malgré ses qualités, Le dernier tigre rouge pèche par son format relativement court. En cherchant à mettre en scène ses personnages de 1946 à 1954 et en prenant le temps de bien poser son décor, Jérémie Guez se trouve dans l’obligation d’expédier bien vite les dernières années du conflit et les destins de ses deux héros. Cela se révèle frustrant pour le lecteur et empêche d’évidence de donner plus d’épaisseur aux personnages principaux et de brosser autrement qu’à très grands traits les personnages secondaires pourtant eux-aussi potentiellement riches, et leurs relations qui finissent par devenir un peu trop attendues.
Tout cela fait du Dernier tigre rouge un roman loin d’être désagréable mais qui ne tient pas complètement ses promesses. Trop vite expédié, il laisse le lecteur sur sa faim. C’est un double pari que représentait Le dernier tigre rouge : pari de changer de décor et de héros pour Guez, pari de se dépoussiérer un peu pour la collection Grands détectives des éditions 10/18. Au final, le pari est à moitié gagnant, en ce que Guez montre qu’il peut faire autre chose que ce à quoi il nous a habitué dans ses trois précédents romans et apporte un peu de fraîcheur aux Grands détectives sans toutefois aller jusqu’au bout, peut-être encore un peu prisonnier de cette écriture de l’urgence mise en place dans sa trilogie parisienne. On attend en tout cas avec une certaine impatience de voir où nous mènera Jérémie Guez dans son prochain roman.
Jérémie Guez, Le dernier tigre rouge, 10/18, coll. Grands détectives, 2014.
Du même auteur sur ce blog : Paris la nuit ; Balancé dans les cordes ; Du vide plein les yeux ; Les âmes sous les néons ;