Les âmes sous les néons, de Jérémie Guez
C’est lorsque son mari meurt, abattu dans sa voiture, qu’elle doit regarder les choses en face. Si elle s’est longtemps accommodée de ce qu’il pouvait lui dire pour justifier leur train de vie, elle n’a maintenant d’autre choix que d’accepter ce qu’il était vraiment. Elle vient d’hériter de ses entreprises et elles ne sont pas tout à fait légales. Parce qu’il contrôlait la plus grande partie du marché de la prostitution à Copenhague.
Elle pourrait se délester de tout cela, et c’est ce que son avocat lui conseille. Mais alors, que ferait-elle une fois qu’elle aurait épuisé ce qui lui resterait ? C’est un homme qui travaillait pour son mari qui la pousse à refuser d’abandonner ce semblant d’empire. C’est une sorte de soldat, aguerri par des années dans le milieu et dans celui de la boxe thaïe. Un homme de parole qui avait juré au défunt qu’il prendrait soin de sa famille si quelque chose devait lui arriver. Il va avoir fort à faire.
Cela faisait un bon moment que l’on attendait le retour à l’écriture de Jérémie Guez. Près de huit ans ont passé depuis Du vide plein les yeux et on pouvait légitimement se demander si, dorénavant accaparé par le cinéma, l’écrivain avait définitivement tourné cette page-là.
C’est donc une heureuse surprise que de voir 2021 s’ouvrir avec ces Âmes sous les néons, roman court à la prose sèche, comme scandée, qui saisit le lecteur par le col et, une fois qu’il a cessé de se débattre, n’a guère de besoin de beaucoup le tirer pour l’amener au bout de ces 172 pages. Car, il faut bien le dire, il faut un temps d’adaptation au choix d’écriture de Jérémie Guez. Des phrases courtes et des retours systématiques à la ligne qui, au départ, avant d’avoir commencé à lire, évoquent moins un polar qu’un livre de poésie. De la poésie, il y en a peu, même en cherchant bien où en feignant de croire qu’elle serait conceptuelle. Le polar, par contre, est terriblement efficace.
Les personnages de Jérémie Guez, sans noms, sont de prime abord archétypaux. La veuve esseulée avec l’enfant qu’elle peine à aimer. Le soldat fidèle huilé comme une machine. Les méchants dans l’ombre prêts à frapper. Pourtant, en glissant le lecteur dans leurs pensées, Guez dessine des portraits plus subtils et les silhouettes esquissées au départ deviennent des êtres toujours plus complexes. Et surtout cette forme d’introspection ne vient pas freiner l’intrigue mais l’alimente. Car les pensées s’accompagnent de gestes qui sont tous des réponses à la situation dans laquelle les personnages sont plongés. Ça peut paraître simple, comme ça, mais c’est là une construction qui ne souffre pas de l’approximation et Jérémie Guez avance sans hésiter sur ce fil tendu.
Il est facile de se rater en essayant de faire un « grand roman », beaucoup plus difficile de réussir une vraie bonne série B. Jérémie Guez, avec Les âmes sous les néons, en offre une parfaitement réalisée dans laquelle l’action ne faiblit pas mais laisse aussi la place aux personnages pour qu’ils s’expriment. C’est très bien joué.
Jérémie Guez, Les âmes sous les néons, La Tengo, 2021. 172 p.
Du même auteur sur ce blog : Paris la nuit ; Balancé dans les cordes ; Du vide plein les yeux ; Le dernier tigre rouge ;