Balancé dans les cordes, de Jérémie Guez
Avec son premier roman, Paris la nuit, Jérémie Guez avait frappé fort. C’est dire si l’on attendait avec une certaine impatience ce Balancé dans les cordes, avec l’espoir que Guez maintienne le niveau ou, pourquoi pas ? , le hausse encore.
Tony vit seul avec sa mère dépressive dans une cité du nord d’Aubervilliers. Pendant que ses amis zonent et trafiquent, il a suivi un autre chemin et va bientôt effectuer son premier combat de boxe en tant que professionnel. Alors que la possibilité de s’extraire enfin de cette condition s’ouvre enfin à lui, sa mère se fait tabasser par un de ses nombreux amants. Tony, avide de vengeance, va alors contracter une dette auprès de Miguel, le bandit qui tient les trafics sur la ville, et s’enfoncer petit à petit.
Comme dans son roman précédent c’est donc d’une chute que Jérémie Guez se fait le conteur. Si plus de choix s’offrent à Tony qu’à Abraham, le héros de Paris la nuit, la sienne paraît tout aussi inéluctable tant il y participe activement. Et s’il donne l’illusion de vouloir malgré tout s’en sortir par le biais de la boxe, il apparaît incontestable que c’est bien la recherche de cette chute définitive qui l’anime vraiment. Non pas que Jérémie Guez vienne nous conter des histoires de perdants, mais plutôt des vies dont l’avenir est désespérément barré par leurs origines, par le poids d’une mort sociale déjà consommée qui les plombe, par la force d’attraction (et même de rétention) de leur lieu de vie.
Car c’est aussi une véritable géographie à la fois sociale et mentale de Paris et de sa banlieue que nous propose Jérémie Guez dans ses romans. Avec des frontières, des barrières infranchissables, et la cohabitation de deux mondes qui semblent s’ignorer et ne peuvent se croiser que par la voie du hasard ou de la volonté de bousculer ces barrières qui ne s’ouvrent jamais complètement, même si quelques incursions sont possibles. La virée en moto à Paris de Tony est d’ailleurs parlante : le récit que nous fait Jérémie Guez de ce passage ponctuel de l’autre côté de la barrière nous montre à quel point Tony bouscule un ordre établi par le seul fait de s’aventurer dans un Paris qui n’est plus le sien. Ce n’est pas tant le fait qu’il y soit avec une moto vraisemblablement volée qui donne à Tony le sentiment de transgresser une règle tacitement établie, mais bien celui d’être là où il ne devrait pas être, car si Paris se débarrasse des classes populaires, ce n’est pas pour les voir revenir nuitamment.
L’acceptation par Tony de cet état de fait nous montre à quel point il a fini par se résigner au fait qu’il est impossible de transpercer le fameux un « plafond de verre » bâti autant par les autres que par lui-même. Mais comme pour Abraham, la résignation peut finir par confiner au nihilisme. Et l’on voit donc Tony suivre une trajectoire mortifère parfois éclairée par quelques lueurs – bien ténues – d’espoir dont le lecteur ne peut qu’espérer qu’il saura les voir et les suivre.
Une fois encore, donc, Jérémie Guez nous offre un roman d’une grande force, oppressant, violent et finement mené et s’affirme comme un auteur avec lequel il va falloir désormais compter.
Jérémie Guez, Dans les cordes, La Tengo, 2012.
Merci à Bruno, de Passion Polar, pour le prêt de ce livre.
Du même auteur sur ce blog : Paris la nuit ; Du vide plein les yeux ; Le dernier tigre rouge ; Les âmes sous les néons ;