Du vide plein les yeux, de Jérémie Guez
Avec Du vide plein les yeux Jérémie Guez poursuit son exploration de la petite truanderie parisienne. Après l’Abraham de Paris la nuit et le Tony de Balancé dans les cordes, Guez nous entraîne dans les pas d’Idir, la trentaine, qui, après une peine de prison pour agression, vivote en jouant les détectives au noir. Contacté par le fils de bonne famille qui l’a envoyé en taule quelques années plus tôt pour retrouver la trace de son jeune frère, Idir se trouve engagé dans une sale affaire où, tiraillé entre sa fidélité à ses amis et celle due à ses clients, entre quête de vérité et quête d’un sens à sa vie, il risque de laisser quelques plumes.
S’il est indéniable que l’on se situe là dans la lignée des deux précédents romans de Jérémie Guez dont on reconnait le réalisme cru de l’écriture, le sens des dialogues – qui s’affine d’ailleurs – et les personnages à la recherche de la rupture, le personnage d’Idir se détache par bien des aspects des deux protagonistes de Paris la nuit et Balancé dans les cordes.
Plus mûr, issu d’un milieu social différent – son père qui tient son rôle à cœur est médecin – Idir n’est pas une jeune tête brûlée désespérée et sans espoir de voir changer sa vie de misère. Plus réfléchi, mieux épaulé, Idir n’en demeure pas moins un personnage tragique cherchant à s’extraire de sa condition. À ceci prêt que si Abraham et Tony pouvaient essayer de s’élever socialement, par le braquage pour l’un, par la boxe pour l’autre, Idir, lui, cherche avant tout à trouver sa place entre deux mondes dans lesquels il apparaît comme un intrus ou même, à ses propres yeux en tout cas, comme une sorte d’imposteur. Coincé dans cet entre deux inconfortable, acculé même par l’affaire qu’il traite, il use de son libre arbitre pour toujours repousser un peu plus les limites et tester autant les siennes que celles de ses amis – et leur fidélité du même coup – dans une course après la vérité qui prend de plus en plus l’apparence d’une spirale mortifère.
Une fois encore l’idée de départ est simple, sans grande originalité ; Jérémie Guez à la manière d’un musicien, se saisit d’une gamme et développe un morceau autour de cet archétype avec fougue et détermination. Cela donne une histoire rude peuplée de personnages qui le sont tout autant. Au milieu de tout cela, Idir aura l’occasion de pleurer et de se pisser dessus sans pour autant devenir pathétique. Il ne fait que dévoiler une humanité d’autant plus lumineuse qu’il se trouve entouré, du côté de ses riches clients comme de celui de ses sombres amis, de personnages plus monolithiques et effrayants : corrupteurs froids d’un bord, machines à tuer, dealers ou voleurs d’un autre qui ont tous en commun le cynisme et le détachement face au mal. Tout cela mené tambour battant dans une alternance de scènes de violence ou d’action extrêmement efficaces et de moments d’introspection évitant habilement de sombrer dans le mélo. Bref, Jérémie Guez confirme s’il en était besoin tout le bien que l’on pensait déjà de lui et démontre une fois de plus son talent de conteur et sa capacité à utiliser les codes du roman noir pour leur donner une tonalité unique.
Jérémie Guez, Du vide dans les yeux, La Tengo, 2013.
Du même auteur sur ce blog : Paris la nuit ; Balancé dans les cordes ; Le dernier tigre rouge ; Les âmes sous les néons ;