La mort fait mal, de Michel Embareck
Les Grandes Galeries sont parties en fumée pour le plus grand déplaisir du président de la compagnie qui les assurait. C’est pourquoi il fait appel à Victor Boudreaux, détective spécialisé dans les incendies criminels. Mais Victor ne touche plus à ce genre d’affaire depuis que sa propre famille a péri dans un incendie…. Toutefois, lorsqu’il apprend que les Grandes Galeries en question ont brûlé à Moizy-les-Beauges, dans le Juras, il change d’avis. C’est que, justement, il a quelques comptes à solder dans le patelin.
Deux volumes des enquêtes de Victor Boudreaux ont paru au début des années 2000 à la Série Noire. Premier de la série, La mort fait mal nous familiarise avec le personnage. Franco-américain au passé torturé que l’on découvrira petit à petit dans ce roman, Boudreaux n’est pas vraiment l’archétype du détective attachant et bourré d’humour. Intelligent, certes, c’est aussi une brute épaisse portée essentiellement par le désir de vengeance et le partisan d’une justice expéditive. Bref, un gros bourrin. Et si Michel Embareck arrive à l’humaniser et à nous le rendre quelque peu sympathique en évoquant ses plaies morales et physiques et la relation au romantisme désuet qui le lie à sa secrétaire, il n’en demeure pas moins que l’on est bien loin du héros lisse et irréprochable. On peut aimer Boudreaux ou pas parce qu’il n’est ni tout blanc ni tout noir et parce qu’il apparaît aussi complètement désinhibé, assumant complètement son côté violent qui transforme le personnage en exutoire pour le lecteur et sans doute aussi surtout pour son auteur.
L’intrigue, du coup, est accessoire. Elle sera d’ailleurs résolue par une accumulation de péripéties plus ou moins crédibles avant de s’achever sur une scène tout droit sortie d’Apocalypse Now. Michel Embareck, d’ailleurs, l’abandonne régulièrement pour laisser libre court à des digressions sur l’histoire des personnages, en particulier des notables de Moizy-les-Beauges, et celle de l’essor économique de la ville qui porte si bien son nom. Moisie, sclérosée, bouffée de l’intérieur, c’est elle le vrai sujet du livre, et la manière dont Victor Boudreaux, à l’image d’un Clint Eastwood dans L’Homme des hautes plaines, va faire sourdre cette pourriture, la révéler à tous, en se montrant tout aussi salaud et dénué de pitié à l’égard de ceux qu’il estime responsables d’un acte qui l’a touché au plus profond de lui-même.
Reprenant donc le motif classique du polar depuis – au moins – la Moisson rouge de l’étranger qui vient révéler à la communauté sa corruption jusqu’à l’explosion, Embareck livre une Série Noire pas dénuée de défauts – on a parlé de certaines faiblesses de l’intrigue qui en rebuteront sans doute quelques-uns – mais d’autant plus jubilatoire que son amoralité (qui, en contrepoint, la rend finalement très morale) est portée par un style gouailleur et rentre-dedans des plus plaisant (« À son avis, et son avis comptait, la publicité n’était que l’avorton d’un survivant de la Propagandstaffel et d’une psychiatre communiste, accouplés un soir de lune rousse contre les barbelés d’un camp de rééducation nord-coréen »).
Michel Embareck, La mort fait mal, Gallimard, Série Noire, 2000.
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