Du noir aux All Blacks : À retardement, de Michel Embareck
Nouvelle incursion avec Michel Embareck dans un domaine qui ne relève pas du roman noir. Encore que… ceux qui se souviennent de l’histoire de la table nuit belliqueuse de Wellington ne pourront nier qu’entre rugby et roman noir les frontières sont parfois poreuses. Par ailleurs, Michel Embareck, toujours lui, l’a déjà démontré avec un savoureux volume de la collection Suite Noire, Le futon de Malte, et quelques nouvelles rassemblées, sous le titre Nouvelles mêlées, avec celles d’un juge médiatique, et que Gallimard a eu la bonne idée de ressortir seules, sous le titre Le temps des citrons, après s’être aperçu que l’on distinguait trop bien dans le volume initial l’écrivain de l’homme de loi.
Depuis 2007, donc, Michel Embareck officie régulièrement dans les colonnes de Libération au lendemain de matches internationaux. C’est l’occasion de lire dans les pages sport du quotidien des chroniques littéraires, un brin ésotériques parfois, bourrées d’humour souvent. Elles sont aujourd’hui rassemblées, ainsi que beaucoup d’inédites, dans un seul volume.
Outre une connaissance aigüe du jeu dont il parle et surtout des hommes, Michel Embareck montre là son admirable capacité à créer en 2200 signes une histoire aussi bien écrite que bien troussée, et ouverte autant à l’amateur de rugby qu’à celui qui n’y connaît rien. D’un fait de match, d’une supportrice irlandaise croisée dans un pub ou de la couleur d’un maillot, l’auteur réussit à tirer une petite nouvelle, tour à tour poétique, comique ou franchement burlesque. On croisera donc, sans distinction, Sébastien Chabal, Jean Bouilhou, Nicolas Sarkozy, Shane MacGowan, Jimmy McNulty ou la crise économique. C’est dire s’il s’agit là d’une vision bien large du rugby.
À un mois de la coupe du monde de rugby, voilà l’occasion de découvrir ou de réviser en s’amusant les subtilités de ce sport étrange ou l’on avance en se passant en arrière un ballon même pas rond et où à la fin, ce n’est pas toujours l’outsider qui perd. Pire, c’est parfois l’Anglais qui gagne.
Les amateurs de polar pourront sans doute faire un lien entre les réunions de la terrible commission de la Hache et celles de la bande Dortmunder dans l’arrière salle du O.J. Bar and Grill d’Amsterdam Avenue. Ils gouteront aussi ce bel hommage à une série qui a changé la face du genre noir :
« Contrainte de quitter Limerick, Mary avait trouvé refuge comme des milliers d’Irlandais de l’autre côté de la mare, plus exactement à Baltimore. Le Kavanagh’s, pub authentiquesur Guilford Avenue, était un repaire de flics de la crim’ locale. Drôles de types… Il leur arrivait d’y amener un collègue, raide mort, de l’étendre sur la table de billard puis, après avoir prononcé son éloge funèbre, d’entonner Body of an American des Pogues en sifflant des shoots de gnôle ».
Michel Embareck, À retardement, Pascal Galodé éditeurs, 2011.
Du même auteur sur ce blog : Cachemire Express ; Rock en vrac ; La mort fait mal ; Très chers escrocs ; Le rosaire de la douleur ; Avis d'obsèques ; Personne ne court plus vite qu'une balle ; Jim Morrison et le diable boiteux ; Bob Dylan et le rôdeur de minuit ;