Arrêtez-moi là ! de Iain Levison

Publié le par Yan

arrêtez-moilàChauffeur de taxi à Dallas, Jeff Sutton pense que, pour un mardi, la journée ne s’est pas trop mal passée. Certes, il a dû poireauter un peu chez une cliente qui n’avait pas assez d’argent dans son portefeuille, mais cela lui a permis de vivre un petit moment de nostalgie en examinant ses fenêtres qu’il a reconnues comme étant l’ouvrage de l’entreprise pour laquelle il a travaillé jadis, et puis il est reparti  avec un gros pourboire. Certes, deux étudiantes ivres mortes ont vomi dans son taxi, mais il estime avoir fait une bonne action en les chargeant gratuitement dans un quartier malfamé… et puis il lui a suffit de nettoyer, comme de coutume, la banquette arrière à la vapeur.

Sauf que la fille de douze ans de la cliente chez laquelle il s’est arrêté a été enlevée la nuit suivante. Et que quand la police trouve les empreintes de Jeff sur le montant de la fenêtre de la chambre de la petite et s’aperçoit que le taxi a été récuré de fond en comble, elle pense tenir le coupable idéal.

Si Iain Levison nous a habitué à des histoires de losers flirtant avec le noir mais toujours bourrées d’humour, il change quelque peu de registre avec cette descente aux enfers d’un type ordinaire conscient de son innocence et, au moins un temps, persuadé que le système ne peut se tromper et finira par l’innocenter. Si l’humour de Levison transparaît encore çà et là – plutôt cyniquement d’ailleurs, puisque ce dont on rit, en fin de compte, c’est de la foi qu’a Jeff en la justice de son pays, puis de la manière dont il prend peu à peu conscience, au contact de son avocat commis d’office ou d’un codétenu tueur en série, qu’il a peu de chances de s’en sortir – Arrêtez-moi là ! explore une veine bien plus sombre et tragique que ses romans précédents, y compris Un petit boulot, pourtant déjà bien noir.

Toujours prompt à dénoncer l’hypocrisie du système, Iain Levison nous détaille par le menu comment on fabrique un coupable et comment, une fois que l’on a commencé à être pris dans les rouages de la justice américaine (mais sans doute cela peut-il aussi s’appliquer chez nous, qui nous rappelons l’affaire Outreau), il est bien difficile d’échapper à un broyage en bonne et due forme.

Jeff Sutton, qui ne s’est jamais posé de questions sur la justice de son pays, en fait l’amère expérience. Il découvre un système dans lequel ce n’est en fait pas à la justice de prouver la culpabilité de l’accusé, mais à ce dernier de prouver son innocence. Un système où, selon par qui l’on est défendu, on se trouve condamné d’avance. Bref, un système bien différent de celui présenté par les séries télévisées au sein desquelles il a été nourri du culte des preuves matérielles et de l’honnêteté intellectuelle des policiers, juges et procureurs : « Je croyais que lorsque vous demandiez un avocat votre interrogatoire cessait. La télévision m’avait donné cette impression, et avec elle des notions irréalistes sur le fonctionnement de la police et de la justice. On devrait afficher une mise en garde sur les postes de télévision, comme il y en a sur les paquets de cigarettes : Attention ! Cet appareil nuit à votre vision du réel. »

Récit cynique et glaçant, profondément pessimiste (ou tristement réaliste), Arrêtez-moi là ! nous plonge dans un monde kafkaïen. Le nôtre.

Iain Levison, Arrêtez-moi là ! (The Cab Driver, 2010), Éditions Liana Levi, 2011. Rééd. Liana Levi Piccolo, 2012. Traduit par Fanchita Gonzalez Battle.

Du même auteur sur ce blog : Un petit boulot ; Une canaille et demie ; Ils savent tout de vous ; Pour services rendus ; Un voisin trop discret ;

Publié dans Noir américain

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