Juste un boulot ? Un petit boulot, de Iain Levison
« J’ai menti à Ken Gardocki. Je n’ai aucun problème moral.
Je savais que la question était piégée, qu’il attendait une certaine réponse. Je savais qu’il me connaissait suffisamment pour soupçonner que je serais moralement partagé, et j’ai voulu lui paraître prévisible, sûr. Je ne voulais pas que Gardocki soit terrorisé à l’idée que je rencontre tout à coup Jésus quand je me trouverai dans la cuisine et que je viserai sa femme à la tête. J’ai le sentiment que je vais faire un bien meilleur boulot qu’il le pense, je pourrais me découvrir des talents cachés ».
Jake Skowran habite une petite ville industrielle américaine. Ou plutôt une ancienne petite ville industrielle, puisque l’usine qui embauchait la plus grande partie de la population masculine a été délocalisée.
Depuis, Jake occupe son temps de chômage à éviter les créanciers et à parier pour tenter de se refaire. Sans succès : il a perdu son abonnement au câble, sa télé, son aspirateur, sa stéréo, le chauffage, et sa petite amie.
Ce week-end là, pourtant, il trouve deux boulots à la fois. Son ami Tommy lui a dégoté une place dans la supérette-station-service où il travaille. Rien de bien alléchant puisqu’il s’agit de reprendre le poste du caissier abattu la veille lors d’un hold-up, pour 5.75 dollars de l’heure. D’autant moins alléchant que, peu avant, Ken Gardocki, son bookmaker, lui a proposé 5000 dollars pour qu’il tue sa femme. Jake a accepté.
Pour autant, afin de ne pas éveiller les soupçons, Jake se sent obligé d’accepter le travail que lui a trouvé Tommy. Il devra donc partager les services de nuit avec un adolescent qui ne s’exprime que par borborygmes et se fait appeler Patate, tout en mettant sur pied le plan qui lui permettra de tuer la femme de Gardocki sans laisser derrière lui la moindre preuve.
Et si, en plus, Jake, prenait goût à ce travail si bien payé ?
On peut dire de Iain Levison qu’il est devenu l’écrivain des laissés pour compte, des « ratés » victimes de la crise mais aussi, et surtout, de la recherche toujours plus prégnante du profit immédiat des entreprises.
Jusqu’où peut aller un homme qui est en train de tout perdre pour s’en sortir ? Le thème a été souvent abordé, longuement rebattu, à commencer par le très talentueux Donald Westlake dans Le couperet. Néanmoins, Levison y appose sa griffe, son style nonchalant, à la première personne. Il rend son héros éminemment sympathique – à tel point qu’on se prend à espérer qu’il puisse réussir une brillante carrière de tueur à gages – et, sous couvert d’un humour grinçant, nous amène à nous demander nous aussi ce que l’on ferait si l’on était dans la même situation.
Sans doute faut-il voir, en plus du talent incontestable de l’écrivain, son vécu, qu’il a d’ailleurs décrit, là encore avec beaucoup d’humour, dans les Tribulations d’un précaire.
Un petit boulot est un livre indispensable en temps de crise et de doute. Une manière de se conscientiser sans pour autant verser dans le prêchi-prêcha. C’est bon et c’est salutaire.
Iain Levison, Un petit boulot, Liana Levi, 2003. Traduit par Fanchita Gonzalez Battle.
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