La combinaison, de Félix Lemaître
En quatorze ans de carrière, Christian a sillonné toutes les grandes surfaces de Picardie et il peut se vanter d’être un des meilleurs animateurs commerciaux en activité. Son secret ce n’est pas seulement de savoir tout vendre mais de savoir à qui le vendre. Il a l’art de repérer le client idéal pour une saucisse aux noix et il pense en toute modestie que c’est un peu grâce à lui que la nouvelle recette des Délichoc a su trouver son public. Mais Christian est aujourd’hui à la vente ce que le lecteur de CD-Rom est à l’ordinateur : un outil obsolète. Le voilà mis au rebut. Et le vendeur doué de devenir un acheteur compulsif. Depuis son salon il commande pour combler le vide et repense à ses rêves déçus, à ses projets jamais accomplis. L’un d’eux prend forme lorsqu’un livreur lui apporte une combinaison de plongée commandée un soir où il avait trop bu et rêvé de Guadeloupe.
En éprouvant la pression du caoutchouc qui aplati son ventre et l’enserre comme un cocon, Christian se sent protégé. Cette combinaison fera désormais partie de lui. Avec elle il pourra écumer tous les points d’eau, de sa baignoire aux lagons antillais en passant par le trou boueux qui sert d’étang à son lotissement. Il pourra faire de l’apnée et retrouver la sécurité d’un ersatz de liquide amniotique.
C’est toutefois oublier un peu vite sa famille – Claire sa femme, Clovis, son fils – qui ne le comprend plus et le voisinage peu enclin à tolérer le spectacle d’un homme-grenouille remontant la rue à la lueur des lampadaires en quête d’une mare.
On découvre avec cet étonnant roman noir qui flirte parfois avec la fable philosophique un auteur doté d’une plume mordante. Il y a beaucoup d’humour dans La combinaison, des phrases percutantes, des situations burlesques, des quiproquos… On rit donc, mais d’un rire qui, de plus en plus, devient jaune en même temps que Christian s’enferme dans sa combinaison et se coupe d’une société qui, elle, ne peut se faire à sa présence gênante. En bousculant les conventions, en étant incapable de comprendre la souffrance qu’il suscite chez ceux qui l’aiment, il devient celui qui dévoile la vacuité du monde qui l’entoure et les faux-semblants qui font que, bon an, mal an, ce monde tourne. De quoi mener au drame et, pour la comédie du départ tourner au roman le plus noir.
Ainsi donc Félix Lemaître fait une entrée originale en littérature. On lève la main et on forme un O avec le pouce et l’index.
Félix Lemaître, La combinaison, Le Masque, 2021. 250 p.