Le champion nu, de Barry Graham
Du Livre de l’homme, du même Barry Graham, paru chez Tusitala il y a près de cinq ans maintenant, on gardait un drôle de souvenir : pas grand-chose de l’intrigue mais une sensation tenace, mélange de mélancolie et de sourire. C’est avec ça que l’on a abordé Le champion nu, en espérant y trouver plus ou moins la même chose. Ça a été un peu plus que ça.
Billy Piers approche de la trentaine. Ancien boxeur professionnel, il s’est reconverti dans le journalisme sportif et l’écriture. Le titre de champion du monde des poids légers pour lequel doit combattre son ami Ricky Mallon, de quelques années son cadet, est l’occasion de concilier les trois activités qui ont fait pour partie l’homme qu’il est devenu : il suit Ricky et son entraîneur, Norrie, à Édimbourg pour leur camp d’entraînement avec le projet d’en tirer non seulement une série d’articles, mais aussi un livre. À Édimbourg, il y a aussi Alan, le meilleur ami de Billy, presqu’un frère. Et surtout il n’y a pas Karen, la compagne de Billy, dont la schizophrénie ne cesse de s’aggraver et dont il n’est plus amoureux. Il n’y a pas Kerry non plus, la voisine de Glasgow, l’amie intime dont il voudrait qu’elle soit plus que cela et qui ne sait pas encore, elle, où elle en est.
C’est donc un journal de ces quelques semaines à Édimbourg que l’on va suivre. Et ce sont autant les espoirs et les peurs de Ricky que ceux de Billy que l’on va pénétrer à travers le récit de ce dernier :
« Je me trouvais avec Ricky quand il s’était qualifié pour le titre de champion du monde en battant Stevie Ramirez par K.O. […]. Sa victoire avait semblé le laisser de marbre jusqu’à ce qu’on se retrouve tous les deux seuls chez lui, environ une heure plus tard. Brusquement, il s’était mis à pleurer.
-J’y arrive, était tout ce que, en guise d’explication, il était capable de dire. Putain, j’y arrive.
L’intensité de sa réaction ne m’a pas surpris. Il rêvait de remporter la ceinture mondiale depuis ses quatorze ans. La plupart des gens veulent beaucoup de choses. Quand votre vie ne tourne qu’autour d’une chose, un Graal, et que vous avez une chance de l’atteindre, l’idée d’échouer doit être glaçante. »
Car si Billy croit vouloir beaucoup de choses, à ce moment-là, c’est Kerry et seulement elle qu’il désire. Ou qu’il croit désirer. En fin de compte, cette échappée est l’occasion pour Billy de se retourner sur sa vie, de se mettre à nu et de se regarder en face.
Tout cela, Barry Graham le dit avec une simplicité qui n’est que de façade, un humour parfois cru, toujours percutant (« Je serais incapable de repérer le moindre sous-entendu même s’il se matérialisait soudain pour m’enculer à sec. ») et une infinie tendresse pour ses personnages un peu paumés mais lucides, qui éprouvent de grands chagrins et vivent des moments lumineux, pour lesquels la lucidité est à la fois malédiction et bénédiction. Ce qui est pour tout dire formidable dans le roman de Barry Graham, c’est cette capacité à dire avec clarté des choses extrêmement intimes, émouvantes sans se complaire dans la une forme d’égocentrisme, en sachant en rire sans être cynique. C’est la boxe, c’est Édimbourg, c’est Billy, Kerry, Karen, Ricky et Alan, c’est le monde entier et chacun d’entre nous.
Barry Graham, Le champion nu (The Champion’s New Clothes, 1991), Tusitala, 2021. Traduit (avec talent) par Clélia Laventure. 200 p.
Du même auteur sur ce blog : Le livre de l’Homme ;