Profil perdu, de Hugues Pagan

Publié le par Yan

Vingt ans après Dernière station avant l’autoroute, Profil perdu marque le retour en littérature de Hugues Pagan. Vingt ans qui n’ont ni érodé la plume de l’auteur, reconnaissable entre mille, ni relégué au placard ses obsessions : les femmes – celles pour lesquelles on est prêt à sombrer –, la guerre d’Algérie, l’absence de ligne entre le bien et le mal, sorte d’estran où les deux principes se retrouvent et se mêlent en laissant parfois derrière eux une mare d’eau stagnante.

On commence avec Meunier, flic sans grands talents mais honnête qui, en ce 31 janvier 1979, après lui avoir présenté des photos d’une mystérieuse jeune femme, laisse partir un petit dealer sans l’avoir fouillé. Quelques heures plus tard, Meunier gît sur le sol d’une station-service. C’est Schneider, chef du Groupe criminel, qui est chargé de l’enquête. Schneider et sa réputation d’animal à sang froid, Schneider et son équipe aux méthodes que l’on qualifiera pudiquement de peu conventionnelles, Schneider et ses souvenirs de l’Algérie où il a failli laisser sa peau et a certainement abandonné un peu de lui-même dans une grotte, Schneider qui vient de rencontrer Cheroquee, désormais sa seule raison de vivre.

On ne lit généralement pas Hugues Pagan pour se payer une bonne tranche de rigolade, même si l’auteur ne se dépare jamais d’une ironie bienvenue.

« Müller était rentré s'asseoir. Il avait examiné clichés et documents. Schneider fumait en silence, les yeux creux. Müller avait conclu :

-Francky l'a dans le cul, fort et clair.

Il était l'homme des conclusions simples et des propos elliptiques. »

Et donc, si plus d’une situation prête à sourire, Profil perdu est surtout une histoire d’amour dévorante et pathétique – au sens premier du terme – sur fond d’enquête criminelle aussi complexe que tragique. Le roman de Pagan est par ailleurs peuplé de fantômes, Schneider bien entendu et ceux qui le hantent, Meunier aussi, à sa manière, Monsieur Tom, l’avocat et ancien frère d’armes avec ses réseaux souterrains qui semble ne plus vivre que dans son bureau clos, et cette femme qui échappe à tous. Hugues Pagan les fait hanter cette ville de l’est prise par le froid et la glace et confère à son roman une atmosphère de fin d’époque, de basculement vers un autre monde qui pourrait peut-être être mieux mais dont on comprend assez vite que l’on se satisferait du simple fait qu’il ne soit pas pire que l’ancien. Mais s’ils se meuvent souvent à la manière de spectres, les personnages de Profil perdu n’en prennent pas moins chair sous la plume de Pagan qui confère à chacun, y compris aux seconds rôles, une rare épaisseur. Ce n’est pas parce que l’on est dans les limbes que l’on n’existe pas. Et chacun, femmes et hommes, existe pleinement avec ses nombreux défauts et ses rares qualités, avec ses ambitions et ses regrets, et surtout avec ses compromissions ou ses refus de courber l’échine.

Autant dire que Hugues Pagan, s’il s’est longtemps fait désirer, n’a pas manqué son retour et que Profil perdu, prend sans nul doute place parmi ses meilleurs romans et, incontestablement, parmi les meilleurs romans noirs de ces derniers mois.   

Hugues Pagan, Profil perdu, Rivages, 2017. 412 p.

Du même auteur sur ce blog : Dernière station avant l’autoroute ;

Publié dans Noir français

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J
J'ai tjrs adoré Pagan; dans les années 80 et 90, avec Kaa et 2 ou 3 autres, c'était vraiment ce qui se faisait de mieux...
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