Dernière station avant l’autoroute, de Hugues Pagan
« C'était des platanes bon marché, de pauvres arbres d'urbaniste. »
Lancées à l’occasion des trente ans de Rivages/Noir dans la réédition d’œuvres emblématiques du catalogue de leur collection mythique, les éditions Rivages ont la bonne idée de sortir du placard l’un des romans français les plus marquants de leur fonds.
Dernière station avant l’autoroute, dernier roman en date de l’auteur entré dans un grand silence littéraire depuis une vingtaine d’années pour se tourner vers l’écriture de scenarii.
Roman gris, froid et humide, Dernière station avant l’autoroute est un roman d’une noirceur éprouvante que vient contrebalancer une écriture qui, pour flirter avec les ténèbres dans lesquelles errent le narrateur, n’en est pas moins d’une singulière beauté. Policier sans nom revenu de tout, à commencer par l’Algérie, mais pas forcément intact, le narrateur, responsable d’une équipe de nuit dans laquelle il a été muté par son administration, est poussé par les circonstances à mettre le doigt dans un engrenage qu’il va remonter avec la détermination teintée de résignation d’un taureau remontant le couloir qui le mène à l’arène.
Tout commence avec un sénateur que l’on retrouve mort dans une chambre d’hôtel. Le suicide paraît évident. Le seul problème, pour certains services, c’est que le parlementaire possédait des informations certainement dérangeantes et qu’elles ont disparu de son ordinateur. Une disquette traîne sans doute quelque part et peut-être bien que l’officier de police responsable l’a emporté avec lui. Avec certains, il suffirait de demander. Mais avec ce commissaire qui n’a plus ni peur ni espoir depuis longtemps, les choses vont être plus compliquées à régler.
De cette trame minimale, Pagan tire un roman introspectif d’une grande force dans lequel il plonge son lecteur dans la tête de ce narrateur à bien des égards désespéré mais porté par ailleurs par une volonté farouche de ne pas faciliter le travail de ceux qui voudraient le faire tomber ou le pousser discrètement vers la sortie. Juste pour emmerder le monde. Grand lecteur, sans illusions sur la pourriture du monde dans lequel il évolue et dans lequel les seules personnes semblant mériter un peu de son respect parce qu’elles ne cherchent pas à paraître autre chose que ce qu’elles sont, sont des prostituées, des patrons de bistrots, des clochards ou éventuellement quelques flics qui suivent plus ou moins la même voie que lui, le narrateur entraîne le lecteur à le suivre sur le chemin angoissant de ce désespoir permanent. Il montre les basses manœuvres, se souvient d’interventions éprouvantes – terribles pages qui évoquent par le menu avec rage et pourtant pudeur ce qui est de toute évidence l’accident du RER D en gare de Lyon – et par le biais d’une impressionnante force d’inertie, met un point d’honneur à ne pas se laisser complètement abattre et à pousser dans leurs retranchements ceux qui pensaient pouvoir le briser.
Roman noir existentialiste, lyrique et intime, Dernière station pour l’autoroute méritait bien d’être à nouveau mis en avant.
« Il y avait un autoradio dans la voiture. Alex m'avait prêté une cassette. Symphonie en ré majeur de Mahler. J'avais beau m'appliquer, je ne comprenais pas grand-chose. N'empêche, ça me donnait malgré tout l'impression d'être vaguement intelligent, amer, et riche de sentiments humains – même si ce n'était ni des sentiments d'une folle gaieté ni tout à fait les miens. »
Hugues Pagan, Dernière station avant l’autoroute, Rivages/Thriller, 1997. Rééd. Rivages/Noir, 2016. 429 p.
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