Mezquite Road, de Gabriel Trujillo Muñoz
Après trois courts romans dont on a déjà eu l’occasion de parler (Tijuana City Blues, Loverboy et Mexicali City Blues) revoilà donc Gabriel Trujillo Muñoz dans un roman un peu plus long qu’à l’accoutumée puisqu’il frôle cette fois les deux cents pages. On avait regretté dans ses œuvres précédentes le fait que le format extrêmement court poussait l’auteur à éluder une partie des faits et gestes de ses personnages, rendant parfois l’intrigue confuse ou presque incohérente. C’est donc, même si l’on avait beaucoup aimé les autres malgré leurs défauts, avec l’espoir de lire un roman plus achevé que l’on a ouvert Mezquite Road.
Dans ce nouvel opus, Miguel Ángel Morgado, l’avocat défenseur des droits de l’Homme, revient une fois encore dans sa ville natale de Mexicali à la demande d’un ami d’enfance anarchiste. Un ami de ce dernier a été retrouvé mort dans une chambre d’hôtel dans laquelle se trouvaient aussi des sachets de cocaïne. La police a eu tôt fait de mettre ce meurtre sur le compte d’une transaction entre narcos qui aurait mal tournée. Or, la victime, Heriberto, était un joueur invétéré, criblé de dettes, certes, mais ni un drogué ni un trafiquant. Morgado va alors mettre le pied dans une drôle de fourmilière, entre policiers corrompus, DEA, gangs de motards, narcos, brigade anarchiste et tenancières de tripots. Sans compter le poids du passé.
On retrouve donc là les thèmes chers à Gabriel Trujillo Muñoz : l’amitié fidèle, la corruption, les morts anciens qui continuent de hanter les vivants et, surtout, cette foutue frontière et ces foutus États-Unis. Une situation résumée en quelques lignes de dialogues entre Morgado et un agent de la DEA :
« -Quand allez-vous nous lâcher la grappe ? demanda Morgado.
-Jamais. Nous sommes voisins, l’aurais-tu oublié ?
-Nous non plus nous n’allons pas vous lâcher.
-We know.
-Et alors ?
-Nous sommes un couple mal assorti, sans possibilité de divorcer. From here to eternity.
-Quelle chierie. »
L’intrigue, une fois encore, est avant tout prétexte à montrer la situation autour de cette maudite frontière qui corrompt tout. À telle enseigne que le simple retour de Morgado dans sa ville pour enquêter le désigne comme une cible aussi bien pour les narcos que pour les policiers. Plutôt échevelée, l’histoire bénéficie toutefois de ce format plus long que celui des autres romans de Trujillo Muñoz. Si les élisions sont encore là, l’intrigue gagne en cohérence mais aussi en profondeur et, en fin de compte, Mezquite Road apparaît sans doute comme le plus abouti jusqu’à maintenant des romans de l’auteur. Un livre toujours sombre mais d’un pessimisme joyeux et avec toujours une once d’espoir incarnée ici par l’étonnante Liga Anarquista Ricardo Flores Magón peu encline à déposer les armes.
Gabriel Trujillo Muñoz, Mezquite Road (Mexicali City Blues – Mezquite Road, 2006), Les Allusifs, 2009. Rééd. Folio Policier, 2012. Traduit par Gabriel Iaculli.
Du même auteur sur ce blog : Tijuana City Blues, Loverboy, Mexicali City Blues.