En ai-je vraiment besoin ? Alibi
Six mois que j’en entends parler. D’aucuns trouvaient que ce magazine était bien trop « commercial », « mainstream », d’autres qu’il fallait saluer l’arrivée d’un vrai magazine consacré au polar. Quant à moi, les couvertures des deux premiers numéros, aperçues à l’occasion, ne m’avaient pas convaincu de mettre 15 euros dans une revue qui consacrait ses deux premiers gros dossiers à deux auteurs quasi-anagrammiques en manque cruel de couverture médiatique. Ellory m’avait déjà beaucoup trop fait souffrir avec Vendetta et les dernières nouvelles du nombril de d’Ellroy me fatiguaient par avance.
Depuis, j’ai eu plaisir à surfer parfois sur le site d’Alibi, en particulier en ce moment même pour suivre les tribulations des envoyés spéciaux de la revue à Gijón à l’occasion de la Semana Negra, et le numéro trois est arrivé sous mes yeux pendant que je me livrais à de dispendieux achats dans le rayon polars de la librairie Mollat à Bordeaux (où vous trouverez des libraires à la fois compétents et sans langue de bois, soit dit en passant). Je me suis donc laissé tenter par ce numéro d’été et son dossier sur le polar en régions.
Et bien, je n’ai finalement pas été déçu. D’abord parce qu’il s’agit d’un beau magazine, ce qui est toujours agréable. Ensuite parce que les dossiers et rubriques m’ont paru dans l’ensemble bien fichus : précis, relativement complets, sans toutefois tomber dans l’encyclopédisme.
Le dossier mensuel, pour commencer, est intéressant et instructif. Il arrive à élever le propos au-dessus des clichés tarte-à-la-crème sur le polar dont l’action se situe en région (que pas un critique n’oserait nous servir lorsqu’il s’agit de Woodrell, Willeford, Crumley ou Tapply qui ont pourtant l’outrecuidance de faire évoluer leurs héros dans des cambrousses pas possibles où l’on ne trouve pas une boutique Hermès à moins de plusieurs centaines de bornes), en dissociant bien ce qui relève du bête folklore neuneu pour touriste en manque d’exotisme torride ou habitant du crû nostalgique des recettes de mémé, et le choix des écrivains de situer leurs romans dans des lieux qu’ils connaissent et dont ils estiment qu’ils peuvent servir de décor à un propos universel.
D’autres rubriques méritent aussi le détour : une belle entrevue avec Bertrand Tavernier, le récit de la descente aux enfers d’Eliot Ness ou encore l’enquête un poil décalée, amusante et un peu inquiétante sur l’homonymie avec des criminels.
Même si j’avoue ne pas avoir trouvé un lien évident avec le polar dans la rubrique « pièces à conviction » qui me propose d’acheter un sac à main à 1690€ ou un téléphone en or et saphirs à 19500€, je me suis donc finalement trouvé bien aise de m’être procuré Alibi. Et si je pourrais regretter que certains points ne soient un peu plus creusés, je dois aussi me rendre à la raison : il existe pour cela des revues très spécialisées et Alibi cherche aussi à toucher, à raison, un public plus large qui, peut-être, aura ainsi l’occasion de chercher lui-même à approfondir ses connaissances sur le roman noir.
Alors, finalement, en ai-je besoin de cet Alibi ? Sans doute pas… mais ce n’est pas parce que je n’en ai pas besoin que je ne vais pas m’assurer de l’avoir.
Le site d’Alibi, c’est par là : www.alibimag.com