Lune captive dans un œil mort, de Pascal Garnier
Pierre, du blog Black Novel a lancé il y a quelques jours l’idée d’une lecture collective. Il proposait en l’occurrence de lire ce roman de Pascal Garnier. C’était l’occasion pour moi d’enfin découvrir un auteur dont j’avais beaucoup entendu parler – et plutôt en bien – mais qui n’avait cependant jamais vraiment éveillé ma curiosité. De fait, peut-être parce qu’à un moment quelconque le résumé que l’on m’avait fait d’un de ses livres ne m’avait pas attiré, j’avais même un petit a priori négatif et imaginais par avance m’ennuyer un peu. Mais, après tout, le roman faisait 150 pages et, donc, c’était le moment ou jamais de prendre prétexte de cette lecture collective pour se forcer un peu.
Les Conviviales sont une résidence de luxe pour retraités qui peuvent y acheter un pavillon et profiter à loisir, sur un domaine fermé et gardé du sud de la France, de la piscine, du club-house et d’une animatrice. Ça sent l’arnaque à plein nez, bien sûr, mais Martial et Odette ont craqué et acheté une maison dans ce mouroir pour quitter enfin Suresnes et profiter de la mer et du soleil. Sauf que : il ne fait pas toujours soleil dans le sud, tout ne correspond pas vraiment aux photos de la plaquette sur la foi de laquelle ils ont acheté leur pavillon, ils semblent être les seuls à s’être fait avoir et vivent dans ce qui ressemble étrangement à un lotissement fantôme.
Heureusement il y a monsieur Flesh, le gardien. Mais bon, il tue des chats à coups de pelle. Et puis, bientôt, un autre couple s’installe. Maxime et Marlène arrivent d’Orléans et recherchent avant tout la sécurité. Ils friment un peu, sont adeptes de l’autodéfense, mais apportent un peu de vie à l’endroit. Enfin, voici Léa. Elle pourrait être sympathique mais bon… elle est seule, même pas veuve, et encore très belle. De quoi faire tourner les têtes et rendre Marlène et Odette jalouses.
C’est donc dans une chronique de l’ennui que se lance Pascal Garnier dans Lune captive pour un œil mort. Un ennui pesant dont on s’aperçoit que même le fait de le partager avec trois ou quatre autres personnes ne l’atténue pas vraiment. Une chronique de la difficile vie en communauté quand cette communauté se trouve, par la force des choses, réduite à une peau de chagrin. Et de nous montrer que l’enfer c’est toujours les autres mais que l’on participe bien soi-même à le construire.
Tout cela est fait avec un humour qui allie nonsense et noirceur et, surtout, avec une plume qui peut vous planter un décor et une ambiance en seulement quelques mots ou phrases bien sentis.
« De chaque côté, les maisonnettes se dupliquaient comme autant de petits monuments funéraires chics et toc qui pouvaient faire craindre une certaine monotonie dans la traversée de l’éternité ».
De cette inactivité à la fois voulu et forcée, vont donc sortir, petit à petit, les secrets insignifiants ou les douleurs patiemment enterrées toute une vie durant et, en fin de compte, le drame annoncé.
Roman doux-amer à l’humour féroce, Lune captive pour un œil mort transforme une expérience du quotidien en la naissance d’un enfer. C’est cynique à souhait, ça dit tout le mal que l’on peut penser de l’âme humaine… et on passe donc un très bon moment auprès de ces vieux enfants qui se sont payé une colonie pour l’éternité.
« Oui, c’était comme de vivre en vacances, à la différence près que les vacances avaient une fin alors qu’ici il n’y en avait pas. C’était un peu comme s’ils s’étaient payé l’éternité, ils n’avaient plus d’avenir. Preuve qu’on pouvait s’en passer ».
Pascal Garnier, Lune captive dans un œil mort, Zulma, 2009. Rééd. Points Roman noir, 2011.
Du même auteur sur ce blog : La théorie du panda ; La place du mort ; Trop près du bord ; Comment va la douleur ? ;