La place du mort, de Pascal Garnier
« Sa première réaction fut d’allumer une cigarette et d’aller fumer à poil à la fenêtre. Il n’avait aucune idée de ce que pouvait bien faire Sylvie dans une voiture à Dijon, mais ce dont il était sûr, aussi sûr que du vent qui ébouriffait les poils de son sexe, c’est que Sylvie était morte. D’une pichenette il envoya son mégot rebondir cinq étages plus bas sur le toit d’une Twingo noire.
-Merde alors… je suis veuf, je suis un autre. Comment je vais m’habiller ? »
Ainsi donc, Fabien vient d’apprendre que sa femme est morte dans un accident de voiture. Avec son amant. Les liens entre eux s’étaient certes distendus au fil des ans, mais c’est une situation que Fabien n’aurait jamais imaginé. Complètement sonné, il obéit cependant à une impulsion et met la main sur le nom et l’adresse de la veuve de l’amant de sa femme. Petit à petit, l’idée fait son chemin : Fabien va séduire la femme de celui qui a séduit la sienne. Et, comme on est chez Pascal Garnier, il y a toutes les chances pour que cela tourne mal.
Comme dans Lune captive dans un œil mort ou La théorie du panda, les seuls romans de lui que l’on ai lu jusqu’à présent, Garnier ne s’embarrasse pas de détails inutiles et livre un récit court (150 pages) où rien n’est de trop pour nous montrer la banale noirceur de la vie, les petits coups en douce du destin et, surtout, comment l’homme à la capacité de les transformer en catastrophes, en faits-divers particulièrement glauques. Observateur à la fois tendre et ironique de la nature humaine, Pascal Garnier aime à saisir ces basculements de faits banals dans la noirceur par la seule – mais puissante – force de nôtre bêtise ordinaire ou de nos impulsions. Enfoncé dans une déprime qui ne dit pas son nom faite d’alcool et de journée à jouer aux Lego, Fabien pense sans doute trouver un moyen de partager son désarroi, à moins qu’il veuille l’observer sur quelqu’un d’autre ou voir comment s’en débarrasser, en filant puis en séduisant la veuve de l’amant de Sylvie, mettant le doigt dans un engrenage qui n’a pas fini de l’entraîner dans un univers plus proche du Misery de Stephen King que de Labiche ou Feydeau.
C’est noir, mais aussi drôle et enlevé, tristement amusant. Du bon roman noir sans fioriture. À lire.
Pascal Garnier, La place du mort, Fleuve Noir, 1997. Rééd. Zulma, 2010. Rééd. Points Roman Noir, 2013.
Du même auteur sur ce blog : Lune captive dans un œil mort ; La théorie du panda ; Trop près du bord ; Comment va la douleur ? ;