La théorie du panda, de Pascal Garnier
Gabriel arrive discrètement, un jour gris, dans une petite ville de Bretagne. Qui est-il ? D’où vient-il ? Nous ne le savons pas, pas plus que les habitants qu’il croise et séduit par ses attentions et son empathie. José, le patron du bar dont la femme est à l’hôpital dans le coma, Rita la droguée à la dérive en couple avec Marco qui voudrait récupérer l’héritage d’un paternel qui s’accroche à la vie, Madeleine la réceptionniste à la vie morne et qui ne semble pouvoir connaître vraiment ni joie ni tristesse… tous voient en ce mystérieux étranger un confident attentionné et généreux. Et s’il n’était pas vraiment cela ? Pire… et s’il était plus que cela ?
Pascal Garnier n’a vraiment pas son pareil pour, en quelques mots simples, vous planter un décor et des personnages.
« Tête baissée, les coudes sur les genoux, il regarde les paumes de ses mains ouvertes. Il se dit que dans les trains on a toujours les mains sales. Pas vraiment sales mais poisseuses de cette sueur grise, sous les ongles surtout, celle des autres qui ont touché avant vous les poignées, las accoudoirs, les tablettes. Il les referme, redresse la tête. Parce que l’immobilité totale qui l’entoure semble le provoquer, il se lève, empoigne son sac de voyage, remonte le quai sur une dizaine de mètres et emprunte le passage souterrain en direction de la sortie. Il ne croise personne ».
Ainsi arrive Gabriel dans cette riante cité bretonne. Un Gabriel dont l’étrangeté suscite chez le lecteur une certaine sympathie mais aussi un sentiment diffus de méfiance qui ne va faire que s’accentuer au fur et à mesures que certains flashs nous éclairent sur le passé de cet homme. Ceux à qui il tente de redonner goût à la vie lors de son passage, eux, ne se méfient pas et ont tôt fait de l’adopter.
Ce qui n’est pas révélé à ces destins croisés et abîmés que Gabriel prend en charge et que Garnier révèle petit à petit au lecteur, c’est que si le personnage porte un nom biblique, il semble moins être un messager de Dieu venu rencontrer un prophète qu’un porteur de viatique. Un viatique au sens commun du terme – Gabriel passe une grande partie de son temps à nourrir ses compagnons et à les aider financièrement – mais aussi un viatique dans le sens sacramental d’une eucharistie (là encore symbolisé par le partage de nourriture et d’alcool qui ne cesse de revenir) administrée à un mourant. Car, après tout, ne sommes-nous pas tous en train de mourir ?
Si le propos ne respire pas vraiment l’optimisme béat et que ce roman est d’une grande noirceur, Pascal Garnier y insuffle cependant de son humour caustique que l’on a pu découvrir (quand, comme moi on n’a lu que deux livres de Garnier) dans Lune captive dans un œil mort. Ainsi quelques scènes avec un cordonnier philosophe, un mangeur d’armoire ou un clochard qui aurait aimé pouvoir avoir un ouvre-boîte pour découper l’armure de Jeanne d’Arc et lui faire l’amour viennent apporter un ton décalé bienvenu dans cette atmosphère étouffante.
Cela donne au final un roman singulier, troublant et pessimiste, dont la beauté de l’histoire comme de l’écriture ont tôt fait d’emporter le lecteur.
Pascal Garnier, La théorie du panda, Zulma, 2008. Rééd. Points Roman noir, 2012.
Du même auteur sur ce blog : Lune captive dans un oeil mort ; La place du mort ; Trop près du bord ; Comment va la douleur ? ;