Comment va la douleur ?, de Pascal Garnier
« Ce qu’il y avait d’irrésistible chez ce grand couillon c’était cette faculté à s’adapter aux situations les plus insensées, un don inné pour la résilience. »
Bernard, en effet, prend la vie comme elle vient. La preuve, ces deux doigts qui lui manquent après qu’il a embauché sur sa machine-outil avec un coup dans le cornet – « … c’est juste l’auriculaire et l’annulaire, je m’en servais jamais. Et puis c’est la main gauche, je suis droitier » – et cette vieille mère accrochée à son rhum Negrita dont il supporte avec stoïcisme les emportements lorsqu’il revient la voir dans la pas très riante station thermale sur le retour de Vals-les-Bains. Pour Simon Marechall, qui se présente comme « éradicateur de nuisibles » et qui est spécialisé dans le genre de nuisible qui avance sur ses deux pattes arrières, la rencontre est une aubaine. Prêt à raccrocher après une carrière de chien de guerre idéalement formé au sein de l’armée française en Algérie, puis de tueur indépendant, Simon cherche celui qui pourra le conduire jusqu’à son dernier contrat et, pour terminer, s’occuper de pousser le tabouret sur lequel il montera après avoir relié avec une corde à sauter son cou au lustre de sa chambre d’hôtel.
L’escapade entre le Dauphiné et le Cap d’Agde ne sera pourtant pas tout repos, Bernard – Saint-Bernard pourrait-on dire – ne pouvant s’empêcher d’embarquer dans la voiture de son nouveau patron pour deux jours, une jeune femme battue et son odorant bébé.
Plus que jamais, l’humour est ici chez Pascal Garnier la politesse du désespoir. D’humour, Comment va la douleur ? n’en manque guère et Garnier se plaît à jouer de cette figure imposée que peut-être le duo dépareillé avec d’un côté le cynisme et l’élégance incarnés et de l’autre le bienheureux crétin ; et l’on pense, inévitablement, au duo Jean Rochefort/Guillaume Depardieu dans Cible émouvante, de Pierre Salvadori, ou à Pierre Richard et Depardieu père… Mais il y a aussi la douleur et un certain désespoir, comme toujours chez Garnier, face à un monde qui n’offre pas grand-chose de plus qu’un bonheur factice pour ceux qui, comme Simon Marechall, pensent trop et le regardent trop en face :
« -Ça fait chaud au cœur, tout ça.
-Vous trouvez ?
-Oui, tous ces gens heureux, c’est bien, non ?
-Comment savez-vous qu’ils sont heureux ?
-Ça se voit.
-Il faut se méfier de ce qui est trop voyant. En général c’est du toc. »
Heureux les simples d’esprit… et ainsi en va-t-il de Bernard, l’un des seuls ici à pouvoir entrevoir le bonheur car il est incapable de voir le monde tel qu’il est ou bien parce qu’il a suffisamment de volonté pour ne pas le regarder. Comme il en va souvent de ce genre d’équipée à deux, l’un va pousser l’autre à briser un peu – un tout petit peu – la carapace et à révéler un peu plus de son humanité. Mais le monde sera-t-il pour autant plus beau à voir demain ? Ça n’est pas gagné.
Voilà donc encore un bijou de cynisme et de noirceur offert par la plume du regretté Pascal Garnier. On ne s’étonne plus vraiment et, on en conviendra, l’intrigue n’a pas grand-chose d’original. Mais il y a surtout l’incomparable musique des mots de Garnier, la précision et la justesse de chaque phrase. Les sentences qui claquent, les contrepieds et toujours cette séduisante causticité.
Pascal Garnier, Comment va la douleur ?, Zulma, 2006. Rééd. Zulma Poche, 2015.
Du même auteur sur ce blog : Lune captive dans un œil mort ; La théorie du panda ; La place du mort ; Trop près du bord ;