La main droite du diable, de Ken Bruen
« Si ç’avait été facile, j’en serais resté là. Je pris la décision de ne pas lâcher. Si j’avais su alors où cette résolution initiale allait me mener, au cœur de l’âme irlandaise, aurais-je battu en retraite ?
Vraisemblablement pas.
Ça ne m’était jamais arrivé.
Cet adage à la con, sur les gens qui ignorent les enseignements du passé et sont condamnés à reproduire les mêmes erreurs, c’est en pensant à moi qu’il a été rédigé. Aurais-je agi différemment si j’avais su les tourments du passé, l’amour perdu, l’humiliation, la honte et l’amitié proprement sidérante qui m’attendaient ?
Si j’avais bénéficié d’une connaissance anticipée des événements, aurais-je dit :
-Non, très peu pour moi, merci, je souhaite préserver le soupçon de santé mentale qui me reste.
Hélas, j’aurais néanmoins cheminé sur cette route du destin contraire.
Pourquoi ?
Parce que je suis un idiot, pire encore, un idiot têtu ».
Voilà un bon moment que je m’étais éloigné de Jack Taylor, le héros cabochard et à vif de Ken Bruen. Depuis Le dramaturge et sa fin encore plus sombre que les précédentes avec laquelle j’avais un peu eu la sensation que Bruen tendait un peu à verser dans le pathos, ce à quoi il ne m’avait pas habitué. Mais lorsqu’on aime un auteur, le désamour n’est souvent que passager. Et me revoilà donc face à Jack Taylor.
Après la fin donc dramatique du Dramaturge, Jack a eu du mal à encaisser le choc et a passé quelques mois dans un état proche de la catatonie dans un hôpital psychiatrique. À sa sortie, rien n’a changé et tout a changé. Rien n’a changé car Jack a tôt fait d’être sur la brèche : le père Malachy, le confident honnis de sa défunte mère, lui demande de retrouver la personne qui semble avoir décidé de décapiter des prêtres pédophiles, et Ridge, la garda, a besoin de son aide pour trouver qui la harcèle. Rien n’a changé non plus parce que Jack a encore arrêté de boire et parce que, toujours, il semble chercher une absolution que lui seul serait en capacité de se donner s’il le voulait vraiment. Tout a changé par contre parce que même Galway, ville la plus sale d’Irlande, est en pleine gentrification, parce que l’Irlande est devenue le Tigre celtique porté au pinacle par les tenants de la nouvelle économie (nous sommes en 2004… plus dure sera la chute), bref, un pays qui n’est plus vraiment le sien, où tout le monde parle et mange américain… et si on boit encore irlandais… et bien, justement, on l’a dit, Jack ne boit plus.
Une fois de plus, l’enquête, ou plutôt les enquêtes, de Jack Taylor se règlent quasiment d’elles-mêmes et ne sont que prétextes pour suivre l’errance du héros. Un héros qui vieillit, qui fait preuve de plus en plus d’empathie pour ses semblables tout en sachant qu’il va sans doute finir par en payer le prix. Car, si Jack entrevoit parfois la lumière, il ne faut pas oublier que Ken Bruen construit depuis Delirium Tremens, une œuvre d’une noirceur incomparable.
Ken Bruen, La main droite du diable, Gallimard, Série Noire, 2008. Rééd. Folio Policier, 2011. Traduit par Pierre Bondil.
Du même auteur sur ce blog : Munitions ; Le démon ; Sur ta tombe ;