L’aiguille dans la botte de foin, d’Ernesto Mallo
Histoire de ne pas faire comme les autres, c’est après avoir lu Un voyou argentin que je me suis décidé à acheter L’aiguille dans la botte de foin, premier roman consacré au commissaire Perro Lascano. Et de me trouver plongé en pleine dictature militaire en Argentine.
Nous sommes en 1979 et la junte au pouvoir traque les « subversifs », les torture et, bien souvent, les exécute sans autre forme de procès. C’est pour aller sur les lieux de la découverte de deux cadavres de gauchistes qu’est appelé un matin Perro Lascano. Policier intègre qui estime n’avoir plus rien à perdre depuis la mort de sa femme et tenant en bien piètre estime le pouvoir en place, Lascano sait cependant bien qu’il ne pourra qu’enterrer son enquête si ce sont les militaires qui ont tué les deux jeunes gens. Sauf qu’à son arrivée sur les lieux il découvre un troisième cadavre. Plus vieux, tué d’une manière différente, sec quand les deux autres, après une nuit dehors, sont trempés, ce troisième corps a de toute évidence été déposé après. Lascano va donc mener son enquête avec opiniâtreté même s’il sait que si ce cadavre a atterri là, ce ne peut être un simple coup du hasard mais bien que, d’une manière ou d’une autre, des militaires sont impliqués dans l’affaire.
Étonnant roman que cette Aiguille dans la botte de foin, où la dictature argentine ne semble d’abord être qu’une trame de fond à l’enquête de Lascano et où, en fin de compte, l’enquête se fond dans la trame en même temps que chaque chapitre, point de vue d’un personnage différent, nous enfonce un peu plus dans l’intimité de ces personnages pour nous montrer à quel point la folie de la junte au pouvoir s’est peu à peu diffusée dans chaque couche de la société avec des résultats divers : paranoïa, résistance désespérée, sentiment d’impunité…
Ernesto Mallo, en dressant cette galerie de portraits de salauds plus ou moins ordinaires et de résistants plus souvent passifs qu’actifs évite la caricature, montre la part d’humanité de chacun – une humanité pas toujours belle à voir – et, comme il le fera dans Un voyou argentin, nous livre aussi de très beaux portraits de femmes, présentes ou absentes.
D’une écriture fluide et volontiers poétique, L’aiguille dans la botte de foin déroule ainsi son intrigue dont on appréhende la fin immuable. Le lecteur se trouve vite accroché par les personnages, par cette enquête trop facile qui place l’attachant Lascano en première ligne et par cette capacité d’Ernesto Mallo à nous montrer sans fioritures, au détour d’une page, toute la violence glaçante du quotidien de l’Argentine de la junte. Une vraie réussite.
« En face d’eux se trouve une Ford Falcon garée en double file et juste à côté, un homme armé d’un fusil attend. Deux autres types sortent d’un immeuble avec leur .45 à la main. Ils traînent derrière eux un jeune homme qui hurle. En voyant toutes ces personnes qui les observent depuis l’entrée du cinéma, l’un des gorilles armés essaie de le frapper, mais le jeune gars se libère brusquement et leur échappe. Il court jusqu’au milieu de la rue en lançant des regards vers les spectateurs. Là, il trébuche et tombe, ce qui laisse le temps à ses cerbères de lui remettre la main dessus. Le jeune crie son nom. L’un des hommes se jette sur lui et le frappe à la tête avec son arme. Ensemble ils le portent, l’amènent jusqu’à la Falcon et le fourrent à l’intérieur. Ils referment la portière. L’homme au fusil braque la foule et crie quelque chose d’incompréhensible mais dont tout le monde a saisi le sens, et la foule se disperse. Lascano reste seul sur le trottoir à observer la Falcon qui disparaît rapidement en bifurquant au niveau de la rue Libertad.
À l’endroit où disparaît l’avenue Diagonal, derrière les eucalyptus touffus de la place Lavalle, s’élève le palais de justice, aveugle, sale et muet ».
Ernesto Mallo, L’aiguille dans la botte de foin (La aguja en el pajar, 2005), Rivages/Noir, 2009. Traduit par Olivier Hamilton.
Du même auteur sur ce blog : Un voyou argentin ; Les hommes t'ont fait du mal ; La conspiration des médiocres ;