La conspiration des médiocres, d’Ernesto Mallo

Publié le par Yan

Quatre ans après Les hommes t’ont fait du mal, on retrouve enfin Perro Lascano, le flic trop intègre d’Ernesto Mallo. Mais c’est un jeune Lascano que l’on a là. On est dans les années 1974-1975, au moment où, sous le gouvernement d’Isabel Perón, se mettent en place sous l’autorité du ministre José Lopez Rega les escadrons de la mort de l’Alianza Anticomunista Argentina (Triple A). Si la police est un lieu privilégié de la Triple A, qui essaime dans tous les services, Lascano, toujours solitaire et attaché à suivre scrupuleusement les règles, engagé en fait dans une sorte de résistance passive, ne rejoint pas la meute. Et celle-ci se méfie donc de ce policier trop droit. C’est pourquoi on lui confie un dossier a priori peu sensible : le suicide d’un vieil allemand. Sauf que, bien entendu, il ne s’agit pas d’un suicide, et que Lascano s’avise rapidement que la victime est un ancien nazi qui a peut-être eu maille à partir avec ses anciens amis installés en Argentine. Ce faisant, il soulève petit à petit des éléments embarrassant pour sa hiérarchie, au risque de devenir lui-même une cible pour les escadrons de la mort de la Triple A.

En revenant ainsi aux années de jeunesse de Lascano – qui sont par ailleurs aussi les siennes – Ernesto Mallo met au premier plan la terreur qui règne sous le régime péroniste, dans la droite ligne de la période de la dictature militaire qui l’a précédé et amenée à durée ensuite sous la junte. Tout cela apparaissait en filigrane et participait de la tension du premier volume de la série mettant en scène Lascano, L’aiguille dans la botte de foin. C’est ici prégnant et, grâce à l’histoire qui se noue entre le policier et Marisa, la traductrice qui l’aide à déchiffrer les carnets de la victime, Mallo arrive avec talent à créer une atmosphère ambivalente, partagée entre la conscience d’un danger permanent, d’une chappe de plomb en train de tomber, et l’illusion à travers cette romance de la possibilité de vivre une vie normale. C’est bien entendu un mirage et la réalité ne tardera pas à se dévoiler dans sa pleine cruauté.

On a beau s’y attendre, on se fait toujours prendre à contrepied par les romans d’Ernesto Mallo. Cela part toujours d’une intrigue policière qui semble cousue de fil blanc, puis l’atmosphère, la tension, se mettent en place par petites touches avant que l’on bascule dans tout autre chose ; dans la tourmente des sentiments de Lascano, dans sa confrontation avec les médiocres du titres – ici donc ces policiers à la solde de Lopez Rega – dans une dernière partie étouffante enfin, et d’une rare violence. On se fait une fois encore prendre au piège et on en est heureux tant ce que nous dit Mallo de l’histoire de son pays, de la mécanique des régimes autoritaires est bien amené, sans démonstration inutile, en collant au plus près à l’intimité de ses personnages.

Ernesto Mallo, La conspiration des médiocres, (La conspiración de los mediocres, 2015), Rivages, 2018. Traduit par Olivier Hamilton. 202 p.

Du même auteur sur ce blog : L'aiguille dans la botte de foin ; Un voyou argentin ; Les hommes t'ont fait du mal ;

Publié dans Noir latino-américain

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