I Cursini, d’Alix Deniger
Il y a bien longtemps que l’histoire du conflit en Irlande du Nord alimente le roman noir. En France, par contre les mouvements nationalistes ou indépendantistes, que l’on pourrait penser être une mine pour le genre, ont assez peu inspiré les auteurs à quelques exceptions près, comme Hervé Le Corre dans Du sable dans la bouche, cavale aux côtés de la rescapée d’un commando basque poursuivie par un tueur. C’est donc avec curiosité que l’on a abordé ce I Cursini écrit par ailleurs par un auteur connaisseur du dossier corse pour y avoir travaillé en tant qu’agent des Renseignements Généraux.
I Cursini, c’est donc les histoires croisées d’un commando de têtes brûlées (et vides) engagées par des indépendantistes à bout de souffle mais qui auraient tout aussi bien pu basculer du côté du banditisme, ainsi que des agents qui les suivent et essaient de déterminer leur rôle et leur action avant de pouvoir leur tomber dessus. Une trame a priori simple pour une histoire – et une réalité – bien plus complexe où les politiques, du côté de l’État ou des nationalistes, ont leur mot à dire et tiennent ou essaient de tenir la bride aux hommes de terrain, où les frontières entre lutte de libération nationale et banditisme sont poreuses, et où tous ceux qui veulent obtenir ou ne pas concéder une once de pouvoir jouent des parties de billard à trois, quatre ou cinq bandes dans l’espoir d’emporter le morceau.
Et l’on est finalement pas déçu par le roman d’Alix Deniger. Certes, l’auteur se laisse parfois prendre aux pièges de l’exercice : un vocabulaire un brin abscons du côté flic pour faire vrai de vrai et un autre plus pauvre et parfois caricatural, notamment dans l’emploi – trop peu ou pas assez – de la langue corse par les clandestins, une histoire d’amour entre flics qui n’apporte pas grand-chose… Mais il parvient toutefois à bâtir une histoire à la fois cohérente et que le commun des mortels peut arriver à suivre malgré la complexité des jeux de pouvoirs et des alliances qui se nouent.
Par ailleurs, I Cursini offre un regard différent sur la situation du mouvement indépendantiste corse, loin de l’image bâtie à coup de conférences de presse spectaculaires par ledit mouvement pour apparaître comme plus puissant qu’il n’est et par les services français qui se plaisent aussi à jouer ce jeu afin d’apparaître eux-mêmes comme particulièrement redoutables.
Et ce que l’on voit, en fin de compte, c’est un mouvement exsangue, prêt de se faire dévorer par des bandits qui ne le craignent plus et obligé de recruter dans une jeunesse dépolitisée mais avide d’enrichissement rapide et de pouvoir. Un mouvement qui ne survit qu’à grands coups de bluffs et parce que, en face, les services de renseignements sont tout aussi faibles, manquant d’effectifs, de matériel et d’une réelle volonté politique d’éliminer un adversaire qui, à l’occasion, peut servir d’épouvantail ou de trophée à exhiber.
Roman désabusé, I Cursini est une vérité. Celle d’Alix Deniger. Ce n’est sans doute pas LA vérité – et l’on attend qu’un auteur nous donne celle d’un clandestin, pourquoi pas, pour pouvoir la croiser avec celle-ci. Mais c’est un angle de vue qui mérite que l’on s’y intéresse, d’autant plus qu’il s’accompagne d’une intrigue plaisante et sans temps morts portée par des personnages qui, bien que certains, trop monolithiques ou flirtant avec la caricature, auraient sans doute mérité d’être un peu plus fouillés, se trouvent être plutôt attachants, y compris lorsqu’ils révèlent leur bêtise crasse et leurs ambitions bas de gamme.
Alix Deniger, I Cursini, Gallimard, Série Noire, 2012.