Francis Rissin, de Martin Mongin
Après six ans d’existence et seize livres au compteur – et pas un seul à jeter – les éditions Tusitala publient leur premier roman français inédit avec cet intriguant Francis Rissin, de Martin Mongin.
Qui est Francis Rissin ? C’est là toute la question et les onze chapitres de ce roman vont à leur manière lever un peu le voile sur cette figure étonnante tout en la gardant toutefois dans une certaine brume. Nous sommes dans un avenir relativement proche, qui pourrait se situer dans les années 2020 ou 2030 lorsque Catherine Joule donne un cours de littérature à la Sorbonne dans lequel elle évoque un mystérieux livre en quête duquel elle s’est lancée. Approche de Francis Rissin, de Pierre Tarrent, a sans doute existé. Il est en tout cas cité dans de sérieuses bibliographies, des extraits ont été repris dans d’obscures revues, mais il est impossible de mettre la main dessus. Tarrent lui-même semble échapper à la réalité. Ce premier chapitre pose donc le postulat de départ : si Tarrent n’existe pas, Francis Rissin peut-il exister ? Est-il le fruit de l’imagination d’un auteur fantôme ou un personnage bien réel, les deux cas n’étant d’ailleurs pas forcément antonymiques ? Francis Rissin est-il une idée assez puissante pour se faire chair ?
C’est ce que l’on va voir à travers les dix chapitres suivants qui constituent autant d’expériences littéraires sous forme de polar, de journal intime, de rapports officiels, de récit à la frontière du fantastique ou encore de fiction politique.
Tout cela pourrait n’apparaître que comme une suite de récits sans cohérence d’ensemble, n’était la figure fantomatique et omniprésente de Francis Rissin. C’est au contraire un roman kaléidoscopique qui prend forme et dans lequel c’est moins la figure de Francis Rissin lui-même, insaisissable, qui semble glisser comme du sable entre les doigts, qui importe, mais plutôt la manière dont celui-ci est perçu.
Alors que l’on voit d’abord fleurir de mystérieuses affiches électorales à la gloire de Rissin qui paniquent les autorités et que Rissin devient de plus en plus perceptible, pour ne pas dire palpable, tout en demeurant protéiforme, ce qui transparaît de plus en plus, c’est l’idée de révolte et la fascination des Français pour les leaders charismatiques. Et dans le genre on peut sans trop en dévoiler dire que Francis Rissin est potentiellement l’homme providentiel le plus attendu depuis le maréchal Pétain.
Martin Mongin, à travers ce récit philosophique déstabilisant, audacieux et surtout parfaitement maîtrisé, livre donc un roman très politique, dans le meilleur sens du terme. À savoir qu’il s’interroge sur notre rapport à ceux qui nous dirigent, sur la recherche d’une figure forte qui puisse incarner les espoirs d’un peuple, sur le désir constant du changement, mais aussi – et surtout ? – sur la manière dont cette figure et ce changement peuvent s’incarner à travers une construction tout à fait artificielle où sortir du néant et échapper totalement à leurs promoteurs.
Étrange, vertigineux, d’une rare intelligence, Francis Rissin n’est ni un roman feelgood ni un livre confortable. C’est par contre un ouvrage particulièrement stimulant qui compte sur l’intelligence du lecteur et offre une expérience de lecture tout à fait inédite. Peut-être la grande surprise de la rentrée.
Martin Mongin, Francis Rissin, Tusitala, 2019. 613 p.