L’appétit de la destruction, d’Yvan Robin
En quelques années, Âme less, groupe de rock formé par les frères Adrien et Pierre, ainsi que Jan et Nina, s’est imposé comme le groupe français le plus abouti, réussissant à allier attitude punk, musique et paroles sans concessions et succès public. Tout ça, c’est terminé. On le comprend très vite à travers les souvenirs qu’évoque depuis le lit où il semble pourrir, Adrien le leader du groupe, et la conversation entre un homme et une femme qui tentent de le rejoindre en voiture.
C’est donc l’histoire de l’ascension fulgurante et de la chute fracassante du groupe et surtout d’Adrien que nous conte ici Yvan Robin en nous amenant à sa suite dans un milieu rock à l’image lissée, même dans ses outrances, et qui se révèle particulièrement décadent. Une décadence qui est celle des membres du groupe qui, à l’exception notable de Nina, plus âgée, semblent, peut-être pour avoir connu le succès trop tôt, n’avoir jamais eu l’occasion de sortir de l’adolescence, mais aussi, plus pernicieuse, du gros business des maisons de disque. En effet, aussi déjantés ou toxiques qu’ils puissent être, Adrien et sa bande, aussi libres qu’ils puissent se croire restent avant tout des produits dont les frasques permettent d’entretenir l’intérêt du public. Et, peu à peu, derrière le succès apparaissent les prémices de la déchéance annoncée : les abus, certes, mais aussi la cadence infernale des tournées, l’impossibilité de communiquer hors de ce milieu et donc l’enfermement qu’incarne à merveille le personnage de Pierre tandis que son frère, nouant une relation compliquée avec une actrice, ne fait que s’enfermer aussi un peu plus à sa manière dans l’image publique qu’il s’est forgée.
Comme dans Travailler tue, son précédent roman, cynique à souhait, sur le monde de l’entreprise, Yvan Robin choisit de mêler dans son récit l’humour, les phrases bien senties, et les scènes totalement débridées, mais sans pour autant se laisser aller à un ton trop léger. On le sent en effet très vite, le malaise plane et il se fait de plus en plus prégnant. On commence par sourire, on pense que l’on va bientôt rire de bon cœur, mais cela n’arrive pas. On rit jaune et, peu à peu, on se laisse gagner par cette ambiance de plus en plus pesante, dans l’attente du drame qui semble inéluctable.
Tout cela est d’autant mieux fait, d’autant plus crédible, qu’Yvan Robin sait pour avoir fréquenté ce milieu comment il fonctionne. Son roman peut aussi, d’une certaine façon se lire comme une série d’anecdotes qui révèlent plus largement une évolution de la société autour de ce groupe qui, peut-être, hormis pendant un moment sur le plan du marketing, n’en a jamais vraiment fait partie et qui a vécu à côté du monde. Et il est toujours intéressant de voir comment ces personnages qui se sont formé hors de tout finissent malgré tout à rencontrer un public qui se reconnaît en eux et dans leurs textes.
Pas dénué à mon sens de quelques défauts – quelques longueurs, ou le sentiment parfois, face aux frasques d’Adrien ou de Jan, que tout cela se répète un peu trop, peut-être parce que je commence à être trop vieux, que j’ai lu trop de livres sur la scène punk et que l’on peut finir par s’en lasser – L’appétit de la destruction n’en demeure pas moins un roman qui vaut le détour.
Yvan Robin, L’appétit de la destruction, Lajouanie, 2019, 232 p.
Du même auteur sur ce blog : Travailler tue ! ;